Au Québec, c'est la première fois qu'une grève étudiante est autant débattue devant les tribunaux. Pas moins de 25 demandes d'injonction ont été déposées depuis le début du conflit, selon une compilation réalisée par La Presse.

Dans plusieurs cas, les injonctions ont été déposées par des élèves qui voulaient forcer la reprise de leurs cours, alors que les membres de leur association étudiante avaient voté en majorité en faveur de la grève.

Chaque fois, deux visions s'opposent. D'un côté, l'élève qui craint que son trimestre soit annulé invoque son droit à recevoir ses cours, et l'obligation de l'école de lui procurer une éducation.

De l'autre, l'association étudiante invoque le droit à la liberté d'expression, inscrit dans la Charte des droits, puisque l'action concertée n'est pas à première vue illégale, et découle d'un vote démocratique adopté par la majorité de l'assemblée générale qui lie tous ses membres. Dans une décision passée inaperçue la semaine dernière, le juge de la Cour supérieure Marc-André Blanchard a rejeté la requête de six élèves du cégep de Lanaudière qui demandaient la reprise de leurs cours.

Le magistrat considère qu'«il existe, à l'égard de l'Association générale des étudiants du cégep de Lanaudière, l'exercice d'un droit constitutionnel ou quasi constitutionnel, en l'occurrence le droit à la liberté d'expression, qui s'oppose à un droit qui, bien qu'extrêmement important, ne constitue pas un droit constitutionnel ou quasi constitutionnel».

C'est toutefois le seul magistrat à avoir adopté cette vision. Et le recours n'a pas été rejeté uniquement sur cette base. Les demandeurs ont été incapables de prouver le critère d'urgence de leur requête puisque leur trimestre n'était pas encore compromis.

Dans les autres décisions récentes, les arguments des associations étudiantes ont le plus souvent été rejetés. «Il apparaît au Tribunal que la liberté d'expression de l'Association et de ses membres ne lui permet pas, comme c'est le cas dans d'autres contextes plus réglementés, encadrés et balisés, telles les grèves prévues par le Code du travail, de s'exprimer sans respecter le droit des autres», écrit le juge Louis Lacoursière, qui a accueilli la demande d'injonction de trois élèves du cégep de Saint-Laurent.

La juge Geneviève Marcotte a épousé cette même vision, hier, lorsqu'elle a accordé une injonction similaire à 16 élèves du collège de Maisonneuve.

Les associations étudiantes ne peuvent prétendre à un droit plus clair que celui des demandeurs, selon cette juge. «En effet, plusieurs jugements récents sont venus remettre en question la légalité du droit de grève des associations étudiantes et/ou la portée du boycott sur leurs membres», poursuit-elle en citant les causes récentes de l'Université du Québec à Rimouski et de l'Université de Sherbrooke.

C'est s'aventurer sur une pente glissante que d'avoir recours aux tribunaux dans un conflit social comme celui qui est en cours, estime Stéphane Beaulac, professeur titulaire en droits publics à l'Université de Montréal.

Il rappelle qu'au tournant des années 70, lorsque le Québec vivait de nombreux conflits de travail et que le Code du travail n'existait pas, plusieurs s'étaient tournés vers les tribunaux. À coups d'injonctions, ils voulaient forcer le retour au travail des grévistes. Le juge en chef de l'époque avait fini par lancer un appel pour demander qu'on arrête de régler devant les tribunaux ce qui devait se débattre sur la scène politique.

Il y aurait peut-être lieu de définir une législation pour encadrer l'exercice du droit de manifester, suggère M. Beaulac.

Grève ou boycottage?

Une guerre des mots a rapidement pris forme dans le conflit avec les étudiants. Ces derniers ont voté la grève, le gouvernement parle de «boycott» des cours.

«Oui, c'est bien fondé de dire que le dictionnaire appuie l'utilisation du mot grève dans le présent contexte d'une grève étudiante, sauf qu'on l'utilise à des fins rhétoriques en faisant des amalgames avec les relations de travail», rappelle M. Beaulac en disant que ces associations n'ont pas lieu d'être.

À l'Université du Québec en Outaouais, des étudiants qui voulaient assister à leurs cours en franchissant les piquets de grève se sont d'ailleurs fait traiter de «scabs».

Sur la place publique, le gouvernement cherche à montrer que le choix d'assister à son cours équivaut au choix d'acheter ou non un service, croit pour sa part le professeur à la faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, Finn Makela. «Il y a des raisons pour lesquelles on a voulu caractériser cela comme un boycott. Cela suit la logique du Ministère.»

En 2005, lors de la grève étudiante qui a duré près de sept semaines, des universités ont obtenu des injonctions qui visaient les piquets de grève et l'accessibilité aux établissements.

«Ces injonctions, à ma connaissance, n'ont jamais remis en cause la décision démocratique et majoritaire des associations étudiantes de faire la grève», souligne le professeur Makela.

Avec une injonction interlocutoire provisoire, le fardeau de la preuve du demandeur est moins grand. Les spécialistes interrogés doutent cependant que ces injonctions se rendent jusqu'à un éventuel procès. Elles risquent de tomber, une fois le conflit réglé.