Des enregistrements d'échanges privés obtenus par La Presse entre Pauline Marois et les lieutenants du PQ de tout le Québec illustrent à quel point les troupes ont été traumatisées par la crise qu'a traversée leur parti la semaine dernière. Dans la fébrilité de la démission de quatre députés, des critiques ont fusé sur la décision de cautionner un projet de loi sur l'amphithéâtre de Québec, stratégie qui, aux yeux de bien des présidents d'association, risque d'avoir des conséquences graves pour l'avenir du parti.

La Presse a obtenu deux enregistrements des conférences téléphoniques que Pauline Marois a eues d'urgence mercredi soir dernier avec l'ensemble des présidents de région et de circonscription. Personne n'y a remis ouvertement en question son leadership, plusieurs lui ont renouvelé leur confiance et de nombreux présidents ont salué le courage avec lequel elle a reconnu rapidement qu'elle avait commis une lourde erreur en appuyant le projet de loi 204 sans consulter son caucus. Mais, dans le secret du huis clos, plusieurs ont souligné le tort énorme qu'a causé cette manoeuvre à l'organisation péquiste.

Médusée d'apprendre qu'il existe un enregistrement de ces échanges, Nicole Stafford, la chef de cabinet de Mme Marois, s'est exclamée hier soir: «On ne pourra pas dire que le PQ ne fonctionne pas en totale transparence et qu'on empêche les gens de s'exprimer!» Elle a paru rassurée quand elle a constaté que la totalité des échanges circulait et non seulement les plus tendus.

Questionné sur les déclarations qu'il a faites à huis clos la semaine dernière, Atïm Leon, président de Montréal-Centre, s'est dit estomaqué par le fait que ses propos aient été enregistrés. «Qu'un militant ait fait ça, c'est pitoyable», a-t-il lancé.

Capital politique «dilapidé»

Durant la conférence téléphonique, les présidents ont semblé plus préoccupés par les conséquences de la crise que par la remise en question de leur chef. «Nous ne pouvons plus nous permettre ce genre d'égarement. Le prochain risque d'être fatal», a laissé tomber Martin Barrabé, président de Marie-Victorin, circonscription de Bernard Drainville. «Incrédule» devant les événements, il souligne avoir donné son appui à la chef lors du vote de confiance au dernier congrès «pour éviter le psychodrame de 2005», lorsque M. Landry a démissionné. «C'est avec stupéfaction et horreur que j'ai vu mon parti provoquer lui-même le psychodrame sur une question aussi secondaire qu'un amphithéâtre. Par cette erreur, on vient de dilapider complètement notre capital politique acquis au congrès. La direction du parti a un examen de conscience à faire sur sa lecture de l'opinion publique et sa conduite», a lancé M. Barrabé.

Les présidents ont parlé à tour de rôle, impatients parce que le temps était compté, après une présentation de Mme Marois sur les dessous de la crise qui a mené à la démission de Louise Beaudoin, Lisette Lapointe, Pierre Curzi et Jean-Martin Aussant.

Atïm Leon, président de Montréal-Centre, estime qu'il faut comprendre cette crise comme une crise du leadership politique. «Je ne vous vise pas personnellement uniquement, a-t-il dit à Mme Marois. C'est l'ensemble des leaders politiques qui sont visés, une course au leadership aujourd'hui serait inopportune. Ce qui est remis en question, c'est notre façon de faire de la politique, de prendre notre électorat pour acquis, faire sortir le vote avec une machine électorale, une vieille façon de faire de la politique.»

«Une erreur stratégique grave»

Durant la conférence, il n'a pas caché son mécontentement: «On est dans une crise, on se retrouve dans une conférence téléphonique où on a 30 secondes pour parler. C'est en deçà de mes attentes. À Montréal, le tapis est en train de nous glisser sous les pieds», a-t-il lancé, convaincu que le PQ actuel n'est plus capable de réformes importantes comme le zonage agricole ou le financement des partis politiques.

Président de Gouin, où Françoise David s'est présentée deux fois, Jacques Thériault n'a pas mâché ses mots: selon lui, c'est Québec solidaire qui va profiter de cette bévue. «J'ai été estomaqué quand j'ai appris que le parti présentait un projet de loi. Je ne vois pas pourquoi on s'est acharnée là-dedans. On a eu une erreur stratégique grave avec les conséquences qu'on connaît. Dans Gouin, on est dans une situation particulière. Pendant que Robin des bois, Amir Khadir, se fait aller, cela amène du crédit à Mme David. Cela nous a fait très mal, dans Gouin. On va la battre, mais on va avoir besoin d'aide, c'est bien évident.»

Ancien député et représentant de Laval, Michel Leduc, a vite vu les conséquences qu'aura le fait que quatre députés souverainistes prennent quotidiennement leurs distances du PQ.

«Les médias vont être à l'écoute de ces gens-là, qui ne vont pas se gêner pour critiquer les positions du Parti québécois.» Mais M. Leduc comprend les démissionnaires: «Quand Curzi dit qu'il y a une question d'éthique à la base, il a raison. Je ne comprends pas pourquoi le PQ est allé présenter le projet de loi spéciale. L'impression est qu'on a agi par électoralisme. Le PQ a abdiqué son rôle d'opposition, et la véritable opposition est devenue Québec solidaire.»

Éric Leduc, aussi membre du comité exécutif, s'est dit d'avis contraire. Pour remporter les élections, le PQ se devait d'attirer les électeurs de Québec, comme il devra le faire pour d'autres régions.

«Petits messages d'amour»

La Presse a déjà décrit l'échange particulièrement vif que Mme Marois a eu avec Hadrien Parizeau, petit-fils de l'ancien premier ministre et président de Crémazie. L'enregistrement le démontre.

«J'ai mal à mon parti! lance le jeune Parizeau, qui s'est porté à la défense de Lisette Lapointe, la femme de son grand-père, égratignée par plusieurs intervenants. «Quand vous dénigrez Lisette Lapointe parce qu'elle attaque votre leadership... J'ai écouté Jean-Martin Aussant, qui, lui, a demandé vote démission. Je ne comprends pas!», lance-t-il à Pauline Marois.

«Je ne comprends pas le déni de plusieurs présidents de comté. Quatre des députés les plus importants ont quitté! M. Aussant est probablement l'avenir de notre parti, c'est quelqu'un qui aurait pu, sur les questions économiques, remplacer M. Parizeau», poursuit le jeune militant. «On a décidé dans Crémazie de demander du changement à la direction du parti, que ce soit avec ou sans Mme Marois», conclut-il.

«En toute amitié, on me dit que Crémazie organisait une fronde et une pétition pour demander ma démission. J'aurais quelque résistance à continuer avec une députée qui me conteste!», a répliqué Pauline Marois. Hadrien Parizeau toutefois, soutient que cette pétition n'a jamais existé.

Dissidents courtisés

Toute la soirée, Mme Marois a dit souhaiter le retour des démissionnaires, confié qu'elle avait serré M. Aussant dans ses bras pour le convaincre de rester. Mais il n'était pas question de ramener Mme Lapointe au caucus péquiste.

Pour convaincre les autres dissidents de revenir, la chef péquiste a incité les militants à leur «envoyer de petits messages de sympathie et d'amour».

Pour Alexis Gagné-Lebrun, d'Hochelaga-Maisonneuve, «la cour est pleine». Le jeune militant a rappelé avoir maintes fois signifié son malaise devant des positions du PQ, sans succès. «Sans parler de la mise de côté de notre éthique pour gagner des votes dans la région de Québec avec le projet de loi 204», lance-t-il. Se plaignant de ne pas avoir de voix comme militant du parti, il attaque les propos plus lénifiants de plusieurs présidents: «Ce que j'entends ici est aussi positif que la conférence téléphonique du 1er mai (la veille des élections fédérales). J'ai peur!»

«On va se calmer un petit peu. On est dû pour une petite rencontre», dit Mme Marois.

«Il y a des erreurs plus difficiles à accepter que d'autres. La crise a été créée au sein même du parti, ce n'est pas les autres, dit pour sa part Vincent Grenier, de Pointe-aux-Trembles. Cela peut venir d'une impression un peu forte à la suite des élections du 2 mai. Il y a une espèce de vent de panique.»

«Première place par défaut»

Représentant de Rosemont, où siège Louise Beaudoin, Philippe Mailhot se montre décontenancé: «Dans une semaine, j'ai une réunion et je n'ai aucune idée de ce qu'aura l'air l'exécutif. Les gens soutiennent vraiment Mme Beaudoin. Pour le financement et les activités, il n'y a rien à espérer pour quelques mois. Ils sont assez inquiets du point de vue électoral. Si on est en première place dans les sondages, c'est par défaut. Je suis vraiment inquiet pour le PQ aux prochaines élections.»

Francois Lemay, de Saint-Henri-Sainte-Anne, la gaffe ne pouvait tomber à un plus mauvais moment. «C'est le pire des timings!», dit-il. La disparition du Bloc projetait le PQ comme seul défenseur des intérêts du Québec; aussi, «on risque de payer plus cher et de façon plus durable ces événements. Je vous invite à la lucidité. Il ne faut pas être défaitiste, mais il faut prendre la mesure de la gravité dans laquelle se retrouve le PQ aujourd'hui et ne pas sous-estimer la difficulté de surmonter la situation. On le sent sur le terrain, cela va prendre un certain temps pour avoir le guts d'aller vendre des cartes de membre et aller faire du financement!»

L'aile parlementaire sur la sellette

Gabriel Massicotte, d'Abitibi-Ouest, soutient qu'un militant a voulu se lancer un congrès à la direction du PQ après les événements de la semaine dernière. «Les gens sont extrêmement déçus par la façon dont cela a été géré par l'aile parlementaire. Cette crise vient de l'aile parlementaire, on devrait leur dire qu'on ne peut se décoller de ce qu'on s'est voté au congrès», lance le président de François Gendron.

Sur la Côte-Nord, Daniel Naud a quant à lui expliqué que l'organisation a dû suspendre son opération de financement et de renouvellement de membres. «On attend que la poussière retombe. On est déçus, on avait juste à laisser Charest s'aplatir et on est allés s'avancer la face pour recevoir le coup de bâton!»

Dans la région de Québec, plusieurs présidents ont été miséricordieux avec Mme Marois, mais l'ancien candidat dans Jean-Talon, Neko Likongo, n'a pas caché sa déception: «On est vraiment déçus de voir le parti subir une crise de cette ampleur. On le voit sur le terrain, les gens de l'exécutif disent: «On va laisser faire les téléphones (de sollicitation) pour un moment.» Le projet a été piloté de manière trop précipitée.»