Des entrepreneurs en construction semblent s'être partagé le territoire de l'île de Montréal, selon une recherche de longue haleine menée par le principal parti de l'opposition à l'hôtel de ville.

Depuis des années, des entreprises obtiennent tous les contrats de travaux publics dans certains arrondissements. Elles ont ces formidables taux de succès parce que leurs concurrents soumissionnent toujours à des prix supérieurs aux leurs.

En revanche, les entreprises qui raflent tous les contrats dans un arrondissement n'en obtiennent aucun, ou presque, dans les arrondissements voisins. Dans ces cas, ce sont elles qui soumissionnent à des prix systématiquement supérieurs à leurs concurrents.

Le printemps dernier, le vérificateur général de la Ville, Jacques Bergeron, avait commencé à lever le voile sur cette situation. Un exemple parmi d'autres: au cours des trois dernières années, l'arrondissement d'Anjou a accordé 100% de ses contrats à Construction Louisbourg, propriété de l'homme d'affaires bien connu Tony Accurso.

«Bien que ces contrats aient été adjugés au plus bas soumissionnaire conforme, je demeure... perplexe», avait déclaré M. Bergeron.

«Un des éléments de réponse apportés par l'administration (du maire Gérald Tremblay) était que ces compagnies avaient été particulièrement performantes et efficaces dans la réduction de leurs coûts», a souligné hier Louise Harel, chef de Vision Montréal, principal parti de l'opposition à l'hôtel de ville.

D'autres exemples

Le recherchiste de Vision Montréal, François Morin, a poussé plus loin l'enquête du vérificateur. Il a examiné les soumissions résultant de plus de 300 appels d'offres lancés par la Ville de Montréal entre 2006 et 2010 pour des travaux de réfection de rues, de trottoirs et du réseau de distribution de l'eau.

Le résultat est étonnant. Des entreprises sont en effet très «performantes» pour rafler des contrats dans un arrondissement, mais elles le deviennent subitement moins quand il leur faut traverser la rue pour répondre à des appels d'offres dans l'arrondissement voisin.

«Nous avons constaté un taux de réussite disproportionné dans certaines parties du territoire, pour des compagnies qui, par ailleurs, connaissaient un fort taux d'échec ailleurs dans l'île de Montréal», a dit Mme Harel.

Catcan a un taux de succès de 97% à Verdun, mais elle a perdu la grande majorité de ses soumissions ailleurs dans la Ville, avec un taux de succès de 13% seulement.

«Une entreprise performante dans un arrondissement devrait logiquement être tout aussi performante ailleurs dans la même ville», a souligné Louise Harel.

Toujours depuis 2006, la société Pavages Jeskar a eu un taux de succès de 100% lorsqu'elle a répondu à des appels d'offres dans les arrondissements de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles et dans le Plateau-Mont-Royal. Ce taux de succès baisse à 31% ailleurs.

Construction Soter a eu un taux de succès de 100% à Montréal-Nord (5 contrats obtenus pour 5 soumissions), mais de 0% dans l'arrondissement voisin de Saint-Léonard (0 contrat pour 10 soumissions).

Le recherchiste François Morin a aussi examiné les contrats pour la mise à niveau de deux usines de production d'eau potable, celles d'Atwater et de Pierrefonds. Les firmes Louisbourg et Gastier, de Tony Accurso, ont remporté six des sept contrats qu'ils avaient soumissionnés à l'usine Atwater. Construction Frank Catania a eu tous les contrats qu'elle avait soumissionnés à l'usine Pierrefonds.

Une enquête réclamée

Louise Harel a écrit une lettre au Bureau de la concurrence du Canada pour lui demander de faire enquête. «Nos recherches ont abouti à des conclusions troublantes, a-t-elle déclaré hier. Nous n'avons pas les preuves de collusion, mais nous sommes inquiets.»

Le Bureau de la concurrence prend bonne note de la plainte, a indiqué une de ses porte-parole, Gabrielle Tassé. «Nous prenons très au sérieux toutes les informations laissant entrevoir la possibilité de collusion et de truquage des soumissions», a-t-elle dit.

Les preuves sont difficiles à faire, mais le Bureau a le pouvoir d'obtenir des mandats de perquisition et d'écoute électronique, a dit Mme Tassé.

Selon Michael Applebaum, vice-président du comité exécutif de la Ville, Mme Harel ne révèle rien de nouveau: «Le contrôleur de la Ville (Pierre Reid) a déjà analysé la situation et transmis 12 dossiers à la Sûreté du Québec et au Bureau de la concurrence», a-t-il dit.

Questionnée à ce sujet, Mme Tassé a dit qu'elle n'était pas au courant de plaintes de la Ville de Montréal. «À ma connaissance, c'est la première fois que nous recevons une telle plainte», a-t-elle dit en parlant de la lettre de Mme Harel.

La Presse a appelé les représentants de toutes les entreprises citées dans la recherche de Vision Montréal, mais aucun d'eux n'a rappelé.