Deux semaines après avoir suscité la controverse pour avoir commandité avec une firme d'avocats une soirée «inoubliable» pour «gâter» des centaines de maires réunis en congrès à Québec, le groupe d'ingénieurs-conseils Dessau a remis ça, notamment, avec ses «amis» clients du «secteur public», il y a quelques jours, à Montréal. Une rencontre propice à l'influence, avertit le commissaire au lobbyisme.

Le cocktail soulignait le 50e anniversaire de la filiale LVM de Dessau, spécialisée notamment en analyses de sols et en études environnementales. Il a eu lieu le 18 mai dernier au Bain Mathieu, rue Ontario Est. Le représentant de La Presse s'y est rendu, informé plusieurs jours auparavant par une source apparemment bien au fait de la liste des invités.

En plus d'inviter leurs employés à déguster des canapés au homard et des effilochés de canard, Dessau et LVM avaient convié «certains clients» du «secteur public», s'est bornée à dire Katia Reyburn, directrice des communications du groupe. Cela inclurait des fonctionnaires d'Hydro-Québec.

Dessau refuse de confirmer si des élus avaient été invités. Il «n'y avait pas d'élus présents lors de cet évènement [...] incontournable dans l'histoire de LVM», a-t-on déclaré.

Même mutisme à Hydro-Québec, au motif que c'était un 5 à 7: «On ne tient pas un registre des activités de nos employés en dehors des heures de bureau», dit la porte-parole Flavie Côté.

La firme d'ingénieurs-conseils considère comme «acceptable» d'inviter «dans la sobriété» ce qu'elle considère avant tout comme des «gens», et non des élus ou des représentants de l'État qui attribuent des contrats par appels d'offres et payés avec les fonds publics. «Nous avons invité des êtres humains avant tout, avec qui nous avons une relation d'affaires», a souligné Katia Reyburn. Elle a répété qu'il ne s'agissait pas de les remercier, mais de souligner un anniversaire.

Pourtant, dans son discours, Rosaire Sauriol, vice-président gestion et construction de Dessau, a «remercié» chaleureusement pour leur longue fidélité ces «clients, partenaires et amis aussi».

Selon le Commissaire au lobbyisme du Québec, «ce type de rencontre est un cadre propice pour les communications d'influence». Louise-André Moisan, sa porte-parole, rappelle que «les titulaires de charges publiques demeurent titulaires de charges publiques même en dehors des heures de travail. Si un lobbyiste tente d'influer sur l'une de leurs décisions, ni le lieu ni le moment n'ont d'importance; il s'agit alors d'une communication qui doit faire l'objet d'une inscription au registre des lobbyistes».

Dessau, tout comme les autres firmes de génie-conseil, n'est pas inscrite à ce registre.

Hydro-Québec est flattée

Le 6 mai, Dessau, LVM et le cabinet d'avocats Dunton Rainville avaient suscité une vive polémique à cause d'une réception offerte à des centaines de maires réunis aux assises de l'Union des municipalités. Le président de l'UMQ, Éric Forest, avait même invité ses collègues à se «rendre en nombre» déguster les fruits de mer offerts par ces firmes qui ont des contrats avec les villes. Même le ministre des Affaires municipales n'y avait rien trouvé à redire.

Dans le Règlement sur l'éthique dans la fonction publique, il est écrit ceci: «Le fonctionnaire ne peut accepter aucun cadeau, marque d'hospitalité ou autre avantage que ceux d'usage et d'une valeur modeste.» Dans le code d'éthique que les villes doivent mettre en place avant le 2 décembre 2011 figureront des règles qui «interdisent d'accepter tout don, toute marque d'hospitalité [...], quelle que soit sa valeur, qui peut influencer son indépendance de jugement dans l'exercice de ses fonctions ou risque de compromettre son intégrité», lit-on sur le site internet de l'UMQ.

Dans le code de conduite d'Hydro-Québec, on considère que «tout bien, faveur [...], invitation ou cadeau doit être considéré comme une source potentielle de conflit d'intérêts», sauf s'ils sont modestes en valeur ou conformes aux règles de la courtoisie. À la société d'État, on se dit «à l'aise» avec cette invitation, qui a respecté les règles et qui provenait d'un «partenaire d'affaires de longue date»: «C'est une marque d'appréciation de leur part qu'on ait été invités», dit Flavie Côté.

Plusieurs sociétés privées sont plus strictes: par exemple, les repas entre leurs acheteurs et des vendeurs sont interdits à moins d'une autorisation préalable.

LVM obtient d'importants contrats des municipalités, mais aussi de gros donneurs d'ouvrage gouvernementaux, dont Hydro-Québec. En 2010, Le Devoir a révélé que LVM avait obtenu de gré à gré 11 contrats d'une valeur d'environ 19 millions de dollars au chantier de la centrale hydroélectrique Eastmain.

La firme Dessau est visée par des enquêtes de la Sûreté du Québec dans au moins trois dossiers montréalais: le Centre communautaire d'Outremont, le Faubourg Contrecoeur et les compteurs d'eau.