Le Directeur général des élections (DGE) est consterné et ébranlé par les récentes allégations sur le financement politique formulées dans un rapport secret d'une unité d'enquête sur le milieu de la construction.

Le DGE souhaite d'ailleurs entendre Jacques Duchesneau, le directeur de l'Unité anticollusion (UAC), afin d'en savoir plus sur les éléments concernant un système présumé de financement politique occulte.

Le porte-parole du DGE, Denis Dion, a déclaré jeudi lors d'une entrevue que M. Duchesneau a été invité à transmettre son rapport aux enquêteurs du DGE et à venir les rencontrer dès que possible.

M. Dion a affirmé que les allégations qui circulent depuis mercredi dans les médias à propos du financement politique constituent un recul, considérant tous les efforts déployés depuis 30 ans afin d'assainir les pratiques à ce sujet.

«Ce que nous avons entendu dans les médias depuis hier nous a ébranlés et nous a consternés, a-t-il dit. (...) Quand on constate les allégations qui sont dans l'air en ce moment, on ne peut certainement pas parler de progrès.»

Le DGE est chargé de veiller au respect des dispositions sur la Loi électorale, notamment en matière de financement politique.

Des extraits d'un rapport de l'UAC, qui était entre les mains du gouvernement depuis plus d'une semaine, ont causé une commotion après leur diffusion mercredi dans les médias.

Le document, obtenu par Radio-Canada et La Presse, décrit les moyens utilisés par le crime organisé, des firmes de génie-conseil et des entrepreneurs en construction pour s'assurer la mainmise sur les contrats du ministère des Transports du Québec (MTQ).

En plus de s'entendre entre eux pour contourner les processus d'appels d'offres, ces acteurs du monde de la construction disposent aussi de stratagèmes de surfacturation pour contribuer illégalement aux caisses des partis politiques, indiquent les reportages.

Ces informations explosives surviennent alors que, depuis deux ans, le gouvernement du premier ministre Jean Charest a multiplié les mesures, dont l'UAC, pour répondre aux allégations de malversations dans la construction.

Devant ces nouvelles révélations, les partis de l'opposition sont revenus à la charge pour réclamer une enquête publique, ce que M. Charest a tenté d'éviter jusqu'ici.

Le député péquiste Stéphane Bergeron croit que les éléments exposés dans le rapport de l'UAC sont accablants.

M. Bergeron, porte-parole en matière de sécurité publique, a affirmé que le gouvernement ne peut plus soutenir qu'il s'agit d'allégations de ses opposants politiques.

«Il s'agit maintenant de faits qui ont été observés par des officiels du gouvernement, a-t-il dit. Le gouvernement ne peut plus se mettre la tête dans le sable, prétendre que tout cela n'est que la malveillance de gens qui veulent sa perte. Il doit déclencher une commission d'enquête dans les plus brefs délais.»

Le chef adéquiste Gérard Deltell a affirmé que le document a confirmé ses pires craintes relativement aux pratiques criminelles qui gonflent la facture des investissements en infrastructure.

Dans le contexte des milliards investis actuellement dans les infrastructures routières, M. Deltell croit qu'une enquête publique est nécessaire.

«Nos pires craintes sont confirmées et c'est écrit noir sur blanc par un enquêteur au-dessus de tout soupçon, qui écrit qu'un système existe au Québec, en transport, qui fait en sorte qu'on gonfle les factures pour blanchir de l'argent et ensuite financer les partis politiques», a-t-il dit.

Françoise David, porte-parole de Québec solidaire, a affirmé qu'elle était surprise par l'ampleur du système de malversations mis en lumière par le document. Mme David croit que M. Charest est acculé au pied du mur.

«Sa crédibilité est en train d'atteindre le point zéro, a-t-elle dit. C'est ou bien une commission d'enquête, ou bien il s'en va, ou bien il déclenche une élection et c'est peut-être ça qu'il faut faire.»

Selon le rapport de M. Duchesneau, des employés du ministère des Transports et des firmes de génie donneraient notamment des informations privilégiées à des entrepreneurs pour leur permettre de préparer leurs soumissions.

Le document, qui ne mentionne aucun nom d'individu ou d'entreprise, confirme aussi qu'un grand nombre d'entreprises de construction entretiennent des liens avec des organisations criminelles.

Tant M. Bergeron que M. Deltell ont réclamé la publication de l'intégralité du document qui, selon le ministre des Transports Pierre Moreau, avait été reçu il y a plus d'une semaine.

M. Moreau a affirmé que 10 à 13 dossiers, colligés par l'UAC, ont été transmis à l'Unité permanente anticorruption (UPAC), dont les activités peinent à se mettre en place.

Le cofondateur de la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ), François Legault, a demandé au gouvernement l'instauration d'une procédure accélérée pour que les coupables soient poursuivis.

M. Legault croit aussi que les employés du MTQ soupçonnés d'agir comme informateurs devraient être suspendus.

«Il faut s'assurer que les gens concernés, les employés et les entreprises se retrouvent le plus rapidement possible devant les tribunaux», a-t-il dit.

La présidente de l'Ordre des ingénieurs du Québec, Maud Cohen, a affirmé que le MTQ ne possède plus les ressources suffisantes et compétentes pour effectuer le suivi des projets qui sont sous-traités à des firmes externes.

«Quand on est un gestionnaire d'infrastructures, on a une responsabilité par rapport à ces infrastructures», a-t-elle dit.

La présidente du Syndicat de la fonction publique du Québec, Lucie Martineau, a critiqué la gestion du MTQ, affirmant que le nombre de contrats en sous-traitance a explosé au cours des dernières années.

Selon Mme Martineau, 90 pour cent des contrats d'inspection d'infrastructures sont maintenant confiés à des firmes externes.

Mme Martineau a aussi déploré les liens privilégiés entre des firmes de génie-conseil et le sérail du MTQ, en constatant que ces entreprises ont recruté neuf anciens sous-ministres ces dernières années.

«C'est nos impôts qui sont gaspillés, a-t-elle dit. Tout le monde dans la société paie ses impôts et pendant ce temps-là on n'a pas d'argent pour payer des services publics. Moi j'invite quasiment la population à se révolter contre ça. Nous désirons, nous voulons et nous maintenons et nous exigeons une commission d'enquête sur la construction.»