L'escouade anticollusion de Jacques Duchesneau aurait été la cible d'une opération d'espionnage électronique illégale, comprenant une tentative d'intrusion dans son système informatique relié à la Sûreté du Québec, a appris La Presse. Qui se cache derrière ces gestes: un entrepreneur? Une firme de génie-conseil? Le crime organisé? La police enquête.

Bien sûr, officiellement, et c'est toujours la règle, ni la Sûreté du Québec qui a le dossier entre les mains ni l'Unité provinciale anticorruption (UPAC), de qui relève désormais l'équipe d'enquêteurs de Jacques Duchesneau, n'ont voulu «confirmer ou infirmer» l'existence de cette enquête.

Selon les informations glanées auprès de sources dignes de foi, la première tentative se serait déroulée il y a quelques mois, après que l'unité de Jacques Duchesneau eut troqué ses ordinateurs du ministère des Transports pour un système de la Sûreté du Québec. C'est à ce moment qu'il y aurait eu tentative de piratage des données. La sécurité aurait toutefois bien fonctionné puisque le système s'est bloqué.

Il n'a pas été possible de savoir si le pirate a quand même eu l'occasion d'accéder à des informations sensibles.

L'autre fait troublant est survenu au printemps dernier. Peu avant la tenue d'une réunion de chantier à laquelle devaient participer des membres de l'unité anticollusion, un ingénieur a découvert un micro-espion caché sous sa table. Il s'agissait d'un dispositif avec émetteur. Plusieurs dispositifs perfectionnés sont offerts sur le marché. Certains intègrent même une carte SIM, ce qui permet d'«appeler» le micro-espion de n'importe où sur la planète.

Dans ce cas-ci, les policiers vont devoir vérifier si cet ingénieur a été la victime d'une opération d'espionnage industriel commanditée par un concurrent, ou bien si l'Unité anticollusion était plutôt la cible principale. Ou les deux.

Ce qui ne serait pas étonnant tant les intérêts financiers en jeu sont importants.

«Univers clandestin»

Comme Le Devoir et La Presse l'ont déjà rapporté au cours des derniers mois, l'escouade Duchesneau, fondée en février 2010, semblait déranger certains joueurs importants de la construction. Faut-il y voir une relation de cause à effet? Les prix des soumissions auraient chuté en moyenne de 10 à 20% dans les derniers mois. Anecdote symptomatique de la méfiance et de la crainte qui règnent désormais dans l'industrie de la construction et le monde municipal: un entrepreneur a éprouvé d'énormes difficultés à distribuer ses cadeaux lors des dernières fêtes de fin d'année, nous a-t-on dit. En fait, les trois quarts de ses «clients» ont préféré passer leur tour.

L'unité de Jacques Duchesneau a remis son rapport de près de 70 pages, aux conclusions dévastatrices, peu avant l'entrée en fonction du nouveau ministre Pierre Moreau début septembre. La Presse et Radio-Canada ont fait largement état de ce document-choc qui dresse un portrait sombre de la construction au Québec, industrie au sein de laquelle se serait infiltré un «empire malfaisant», pour reprendre les termes employés par Jacques Duchesneau en préambule. «Nous avons ainsi découvert un univers clandestin et bien enraciné, d'une ampleur insoupçonnée, néfaste pour notre société aussi bien sur le plan de la sécurité et de l'économie que sur celui de la justice et de la démocratie.»

Ce rapport ne dévoile aucun nom d'individu ou d'entreprise, car ce n'était pas son objectif, a rappelé le ministre des Transports. Il a aussi révélé que plusieurs cas suspects détectés par les enquêteurs du ministère des Transports au fil de leurs recherches ont été transmis par les enquêteurs du Ministère aux policiers de l'escouade Marteau, seuls habilités à mener une enquête criminelle.

La porte-parole de l'UPAC a confirmé vendredi à La Presse que 13 dossiers avaient été confiés à la police.

L'organisme dirigé par le commissaire Robert Lafrenière dément ainsi les informations divulguées par certains médias qui indiquaient au contraire que la police n'avait reçu aucune information de l'escouade Duchesneau.