Le gouvernement Charest s'affaire à soupeser les avantages et les inconvénients de la proposition du responsable de l'Unité anticollusion, Jacques Duchesneau. Lundi, en début de journée, on avait évacué rapidement l'idée d'une enquête «à huis clos» menée par des juges, mais par la suite, on s'est fait plus prudent.

«Il faut regarder les deux côtés de la médaille. Le ministre peut y réfléchir. Si cela ne l'intéressait pas, il n'aurait pas pris la peine de regarder ce qui peut en découler. Il regarde cette option comme toutes les autres», a résumé Mathieu St-Pierre, porte-parole du ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil.

Le ministre attend surtout de voir M. Duchesneau expliciter sa proposition en commission parlementaire, aujourd'hui. L'ancien chef de police comparaîtra à compter de 15h, pour au moins cinq heures. Les partis de l'opposition ont désigné les députés les plus aguerris sur les questions de construction pour cette séance de la Commission de l'administration publique, soit Nicolas Girard, Stéphane Bergeron et Bertrand St-Arnaud pour le Parti québécois, et Sylvie Roy au lieu de François Bonnardel pour l'Action démocratique du Québec.

Pour l'enquête publique, la cause est entendue, le gouvernement n'a pas l'intention d'aller dans cette direction, «et sa réponse a été la mise en place de l'Unité permanente anticorruption», fait-on savoir.

Une nouvelle enquête publique serait un pactole pour les bureaux d'avocats, mais n'apporterait pas nécessairement de résultats, explique-t-on dans les coulisses à Québec. Des libéraux sont convaincus que même s'il disait oui à la proposition de M. Duchesneau, le gouvernement Charest ne marquerait pas de points dans l'opinion publique, car «le mal est fait».

En attendant, Jean Charest est «à l'écoute» et on scrute les réactions à la proposition de M. Duchesneau. Le rapport relève beaucoup de problèmes quant à la gestion du ministère des Transports, un coup de barre qu'on pourrait donner rapidement sans avoir à attendre les conclusions d'une enquête.

De leur côté, le PQ et l'ADQ, qui réclament depuis plus de deux ans la tenue d'une enquête «publique» sur l'industrie de la construction, ne sont guère intéressés par la suggestion de Jacques Duchesneau, qui propose que trois juges entendent à huis clos une série de témoins.

«Le premier endroit où M. Duchesneau devrait témoigner, c'est devant une commission d'enquête publique, et non à Tout le monde en parle ou en commission parlementaire», a lancé le critique péquiste en matière de transports, Nicolas Girard. Selon le député de Gouin, M. Duchesneau a confirmé dans son rapport qu'«il y a un système d'extras qui existe», et que «des entrepreneurs qui soumissionnent à bas prix peuvent remplir leurs coffres» en ajoutant des avenants aux contrats déjà conclus.

«M. Duchesneau a dit que son groupe avait rencontré 500 personnes, que chacun des paragraphes de son rapport s'appuyait sur ces entrevues. On est loin de M. Charest, qui ramenait toutes ces révélations à des «allégations»», a expliqué M. Girard à La Presse.

Selon lui, les Québécois sont «tannés... exaspérés» de cette controverse et ne se contenteraient pas d'une enquête derrière les paravents. «Cela fait suffisamment longtemps que la corruption et la collusion se passent à huis clos; les Québécois ont droit à la transparence», a résumé M. Girard.

Selon l'adéquiste Sylvie Roy, «l'économie du droit criminel veut que ce soit public» et que «la meilleure façon d'établir la crédibilité des témoins, c'est de les entendre de vive voix, comme on a vu à la commission Bastarache».

La députée de Lotbinière prévient que la commission parlementaire, demain, sera «probablement décevante», à cause du format passablement lourd qui entoure cet exercice.

Elle relève que le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a déjà refusé de faire cette enquête à huis clos. «[La commission] Gomery avait au début une ordonnance de non-publication. Si on commence à huis clos puis en public, on n'en finit plus de parler de ça... Si on peut passer à autre chose, je vais être contente!», a-t-elle lancé.

Une enquête «à huis clos» intéresse Khadir

Pour le cochef de Québec solidaire Amir Khadir, l'idée d'une enquête à huis clos menée par des juges n'est pas dénuée d'intérêt.

Selon le député de Mercier, le rapport Duchesneau met en lumière les limites du travail policier. Comme «étape intermédiaire», des audiences à huis clos pourraient «contribuer à identifier les acteurs à l'oeuvre dans un système de collusion».

Ultimement, toutefois, une enquête publique devrait avoir lieu, selon lui.

Dimanche, M. Duchesneau a proposé la tenue d'une enquête à huis clos, une stratégie qui permettrait de recueillir plus facilement des preuves qui serviraient aux policiers.

Selon lui, le travail des policiers est ardu quand il s'agit de soumettre aux tribunaux des cas de collusion qui reposent sur des ententes secrètes.

Depuis 30 mois, Jean Charest repousse les pressions en faveur d'une commission d'enquête. Pour le gouvernement, il faut des preuves pour traduire les coupables devant les tribunaux.

Selon Québec solidaire, il faut que les criminels soient démasqués. M. Khadir craint qu'on soit victime de la «tentation de se concentrer sur la recherche de coupables» alors que l'important, c'est de «mettre au jour un système afin qu'il ne puisse plus fonctionner, ce que seule une enquête publique permettrait» de faire.