En pleine tempête, le capitaine Éric Martin, numéro 2 de l'escouade Marteau et officier d'expérience respecté par les enquêteurs, veut partir dans une autre unité bien loin de l'univers de la construction, a appris La Presse.

M. Martin, pilier de l'escouade Marteau, est sur les rangs pour diriger l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé autochtone, une division méconnue et loin des projecteurs. «Il figure sur une liste de candidats», confirme le lieutenant Guy Lapointe, aux enquêtes criminelles de la Sûreté du Québec. Il remplacerait alors le patron de l'UMECO-A, l'inspecteur Lino Maurizio, qui s'en va en mission à l'étranger.

Officiellement, la SQ soutient qu'il s'agit d'une promotion. Mais au sein de la police, plusieurs croient plutôt l'inverse. Les enquêteurs accueillent l'éventualité du départ du capitaine Martin avec désarroi parce qu'il est considéré comme l'âme de Marteau. C'est un homme très aimé par ses troupes, tant pour ses compétences que pour son courage et son franc-parler.

«On le tasse», affirme un policier de la SQ

Même si, dans l'organigramme, l'escouade Marteau est dirigée par l'inspecteur Denis Morin, dans les faits, le capitaine Éric Martin en est le chef opérationnel. Sauf que le courant ne passerait pas entre les deux hommes.

Le lieutenant Guy Lapointe nie: «Rien n'est plus loin de la vérité, dit-il. Ils ne sont pas en conflit. Éric Martin n'est pas muté contre son gré. C'est lui qui a posé sa candidature pour aller diriger l'UMECO-A».

Or, nos sources répliquent que le capitaine Martin est lassé de cette querelle intestine. Une source indique que ses ennuis auraient commencé le 3 février, jour de la première grande opération de l'escouade Marteau, à Boisbriand. Ce jour-là, la SQ a arrêté sept personnes, dont l'ex-mairesse de la ville ainsi que quatre cadres et employés de deux firmes de génie-conseil.

Pendant la conférence de presse qui avait suivi les arrestations, l'inspecteur Denis Morin avait refusé de répondre aux questions des journalistes sur le rôle des firmes de génie-conseil dans le «système» de financement politique illégal.

Mais une heure plus tard, son bras droit, Éric Martin, qui est connu comme ne pratiquant pas la langue de bois, s'était montré beaucoup plus loquace au cours d'un entretien avec La Presse.

Il avait longuement insisté sur le sujet: «Pour faire avancer des projets de construction, ou pour qu'ils soient autorisés, elles [les firmes de génie et de construction] ont besoin de financer des partis politiques, a-t-il dit. Elles vont demander à des collaborateurs ou à des employés de commettre des fraudes par supercherie, mensonge ou par d'autres moyens. Elles vont fabriquer de fausses factures ou facturer des services jamais réalisés.»

Depuis, cette déclaration a été abondamment reprise dans divers médias.

Les rumeurs de son départ de l'escouade Marteau causent la stupéfaction dans les rangs de la SQ. Les enquêteurs le considèrent comme un chef excellent et solide, et ils ne comprennent pas pourquoi il devrait partir, au moment où les dossiers de corruption et de collusion se multiplient.

D'autant plus que le rapport de l'Unité anticollusion de Jacques Duchesneau, dévoilé il y a quelques jours, est venu confirmer son analyse. Une partie du document dénonce le financement occulte des partis par les firmes de génie et de construction, en plus de dévoiler quelques stratagèmes utilisés.

Un ex-conseiller politique est cité ainsi dans le rapport: «Plus ils ont de contrats, plus ils donnent; plus ils donnent, plus ils ont de l'influence; plus ils ont de l'influence, plus ils ont de contrats. Et cette influence, ils l'exercent ensuite partout via l'argent public, que ce soit en siégeant sur des fondations ou en faisant des levées de fonds pour des oeuvres caritatives. Ils deviennent presque intouchables compte tenu de tous ces rapports enchevêtrés.»

Cette nouvelle sur le capitaine Martin survient juste après que La Presse a révélé que des policiers de la SQ se plaindraient de pressions et d'ingérence du pouvoir politique dans leurs enquêtes sur la collusion et la corruption. Selon leurs dires, on «dirigerait leurs enquêtes» afin de les éloigner le plus possible des sphères du pouvoir à Québec. La plupart des enquêtes de Marteau viseraient le monde municipal, a-t-on appris.

Des allégations farouchement démenties vendredi dernier par le directeur général de la SQ, Richard Deschesnes: «La SQ n'est pas une police politique, a-t-il répliqué. Personne n'est à l'abri des lois. Il est impensable que la SQ puisse cibler des gens et en protéger d'autres, ou puisse empêcher que des enquêtes se fassent sur quiconque au Québec. Il n'y a pas d'ingérence politique pour faire - ou pour ne pas faire - quoi que ce soit.»

L'escouade Marteau de la SQ a été créée en octobre 2009 par le gouvernement Charest afin de lutter contre la corruption et la malversation. Elle a été depuis englobée au sein de l'Unité provinciale anticorruption (UPAC), placée sous la direction du commissaire Robert Lafrenière, lui-même un ancien haut placé de la SQ.