Le premier ministre Jean Charest entend «étudier sérieusement» la proposition d'enquête publique sur l'industrie de la construction soumise par Jacques Duchesneau. Mais déjà, il semble peu enclin à accepter l'idée d'une commission publique précédée d'audiences à huis clos. «Il y a un certain flou» autour de l'idée du patron de l'Unité anticollusion, a-t-il souligné mercredi.

Du reste, aucun ministre ou député ne s'est dit convaincu de la nécessité de tenir une enquête publique à la suite du témoignage de Jacques Duchesneau mardi. Certains se sont prononcés carrément contre la proposition. Et le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, la trouve «excessivement complexe».

Le Conseil des ministres a analysé une première fois la proposition de M. Duchesneau mercredi, mais il n'a pris aucune décision. «On étudie la question, et on prendra le temps nécessaire», a affirmé le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, à la sortie de la réunion. Or quelques heures auparavant, il disait que la réflexion devait se faire «rapidement».

La décision pourrait bien tarder. Jean Charest sera à Paris samedi pour une mission qui le mènera également en Espagne et qui prendra fin le 11 octobre. «On va prendre le temps de faire les choses», a indiqué son attaché de presse, Hugo D'Amours, soulignant qu'aucune annonce ne sera faite aujourd'hui.

L'opposition saisit l'occasion

Lors de son passage de cinq heures en commission parlementaire, Jacques Duchesneau a plaidé qu'une enquête publique est «urgente». Selon ses explications, une première phase à huis clos servirait de «tamis», d'enquête préliminaire, pour débusquer les délinquants. Ces cas seraient ensuite acheminés à la commission publique. Le président de l'exercice devrait être choisi par l'Assemblée et non le gouvernement, estime M. Duchesneau.

La chef péquiste Pauline Marois a saisi la balle au bond à la période des questions. «Le seul moyen pour véritablement faire la lumière, connaître la vérité, et c'est M. Duchesneau lui-même qui l'a dit, c'est cette commission d'enquête. Pourquoi le premier ministre ne se rend-il pas aux arguments de l'homme qu'il a lui-même nommé?», a-t-elle lancé.

Résistances

«Nous allons étudier ses idées», a répondu M. Charest, ajoutant du même souffle qu'«il y a un certain flou là-dedans». Il a noté que «M. Duchesneau, [mardi] soir, disait lui-même qu'il y avait des affaires qui n'étaient pas claires [...]. Il dit effectivement que c'est complexe».

Pour M. Charest, trois «principes» guideront le gouvernement dans sa réflexion: ne pas interférer avec les enquêtes policières en cours, s'assurer de traîner les criminels devant les tribunaux et de protéger les victimes.

Le premier ministre a qualifié de «troublant» le témoignage de M. Duchesneau. «Nous prenons ça très au sérieux», a-t-il assuré. Il a été piqué au vif lorsque le chef de l'ADQ, Gérard Deltell, lui a demandé s'il a «fait enquête pour savoir quels sont les vautours au sein de son parti», une expression utilisée par M. Duchesneau pour qualifier les hommes d'affaires liés au crime organisé qui selon lui rôdent autour des formations politiques.

«M. Duchesneau s'est fait demander par sa collègue de Lotbinière s'il y avait de l'ingérence dans les enquêtes, il a répondu clairement non. Il a été demandé s'il y avait des interférences politiques dans l'attribution des contrats au niveau provincial, il a répondu à peu près non aussi. Ça, vous oubliez d'en parler», a-t-il tonné.

Pas «demain matin»

De son côté, Jean-Marc Fournier a nié la principale conclusion du témoignage de M. Duchesneau. «Je ne peux pas dire que M. Duchesneau a dit qu'il faut une enquête publique demain matin», a-t-il affirmé aux journalistes. Lorsqu'on lui a rappelé que le patron de l'UAC a dit que l'enquête est «urgente» et représente «le seul moyen de redresser des problèmes devenus structurels», il s'est montré agacé. «Honnêtement, je ne peux résumer son témoignage à cela [...]. Vous avez résumé toute la commission en disant que c'est ça qu'il a dit, mais il a dit plus que ça.»

L'enquête publique proposée par M. Duchesneau est à ses yeux «excessivement complexe». «Est-ce que c'est privé, est-ce que c'est mixte, est-ce que c'est une partie publique pour des aspects techniques? Plusieurs éléments ont été mentionnés», a-t-il affirmé. «Quand on veut faire toute la lumière et qu'en même temps il faut protéger la preuve obtenue pour les fins criminelles, c'est assez complexe. Jusqu'où on peut aller?» Selon lui, «il y a une prudence élémentaire à avoir» afin de ne pas «brûler la preuve».

Deux ministres se sont opposés à la proposition de M. Duchesneau. «Il a dit que la police a déjà accumulé des preuves. Il ne faut surtout pas brûler ces preuves en commençant à faire défiler des témoins devant une commission d'enquête publique», a fait valoir le ministre des Ressources naturelles, Clément Gignac. Selon le ministre délégué Serge Simard, «M. Duchesneau l'a carrément démontré qu'avec une enquête publique, il y a des passes qui se faisaient avec des gens qui se présentaient là et qu'on ne pouvait pas les accuser de ce qu'ils avaient dit devant la commission. Ça veut dire que ça leur donne une passe pour s'assurer qu'ils ne seront pas accusés.»