Des entreprises ont tenté de financer des campagnes électorales dans trois municipalités de la grande région de Montréal en 2005 et 2009, révèle une enquête de La Presse. Les maires de Brossard et de Mont-Saint-Hilaire ainsi qu'un ex-élu de Sainte-Marthe-sur-le-Lac affirment s'être fait offrir des élections clés en main et se disent convaincus qu'ils sont loin d'être les seuls.

La Presse a pris contact avec la moitié des 82 maires de la région métropolitaine pour les questionner sur leur perception de la collusion et de la corruption dans le milieu de la construction. Une vingtaine ont accepté de témoigner, assurant dans la quasi-totalité des cas n'avoir jamais été pressentis par des entreprises. Plusieurs ont affirmé que leur municipalité était trop petite pour attirer l'attention des grandes firmes.

Pourtant, le maire Michel Gilbert, de Mont-Saint-Hilaire, qui compte 17 500 habitants, affirme avoir été joint à deux occasions par des firmes de génie-conseil, qu'il a préféré ne pas nommer.

Le premier incident remonte aux élections municipales de 2005 lorsqu'une conseillère municipale d'une municipalité voisine l'a invité à rencontrer les responsables d'une entreprise.

Durant la rencontre qui a duré une heure, dans les bureaux de la firme de génie-conseil à Montréal, on lui a offert de couvrir certaines dépenses de sa campagne. On lui a notamment proposé de réaliser un sondage pour mesurer ses appuis dans la population. Quand il a demandé comment le tout serait financé, la réponse a été simple: «On m'a dit: "On peut s'occuper de votre campagne électorale. Ne vous préoccupez de rien." Ça ne sentait pas bon», a confié Michel Gilbert. Au terme de la rencontre, l'homme dit avoir refusé l'offre et ne plus jamais avoir entendu parler de cette firme.

«Je ne connaissais pas le concept d'élection clés en main, mais c'en était une. C'était une campagne dirigée et financée par une firme d'ingénieurs», assure aujourd'hui le maire de Mont-Saint-Hilaire. Michel Gilbert indique que la firme ne lui a pas ouvertement demandé de contrat en échange de son aide, mais il convient qu'il leur aurait été redevable. «Ils viennent vous chanter la pomme, mais ne vous connaissant pas, ne connaissant pas votre sens de la moralité, ils ne sont pas assez stupides pour vous dire qu'ils font ça pour avoir des contrats», explique-t-il.

Ce n'est pas la seule fois que Michel Gilbert dit avoir été pressenti par une firme de génie-conseil. En pleine campagne en 2009, une autre entreprise avec laquelle sa municipalité faisait - et fait toujours - affaire aurait tenté de financer sa caisse électorale.

«Un jour, j'ai reçu un appel et on m'a dit: "Il faudrait prendre un petit-déjeuner." Comme on était en campagne électorale, je lui ai demandé si c'était pour une contribution. Il m'a répondu: "Oui, c'est pour la campagne." Je le connaissais et je lui ai expliqué que seuls les résidants de Saint-Hilaire pouvaient contribuer et qu'il fallait s'adresser au responsable de la campagne. Finalement, je ne suis jamais allé déjeuner», relate le maire.

Malgré ces incidents, Michel Gilbert dit ne pas avoir senti le besoin de s'adresser aux policiers. «Ces moments, ça se passe entre sa conscience et soi.» S'il accepte de parler aujourd'hui, c'est pour éviter que des «novices» en politique tombent dans le piège.

Petite ville, grand potentiel

Conseiller municipal de Sainte-Marthe-sur-le-Lac de 2005 à 2009, Sylvain Goudreault dit lui aussi avoir été joint par des entreprises qui souhaitaient l'aider à accéder à la mairie de la petite municipalité de 14 500 habitants, au nord de Montréal. «C'est des gens qui n'aimaient pas la mairesse», résume-t-il.

Six mois avant les élections, il a été invité à dîner avec un haut dirigeant d'un cabinet d'avocats qui obtient fréquemment des contrats auprès des villes. C'est lors de cette rencontre que Sylvain Goudreault dit avoir compris d'où provenait son financement et décidé de faire le ménage dans son parti. «Quand j'ai dit que je ne voulais pas avoir à faire avec ça, deux [candidats] m'ont lâché», relate Sylvain Goudreault, qui a fini par saborder son parti.

L'un des démissionnaires, Claude Amann, a lui-même fondé une autre formation aux élections de 2009 pour tenter de déloger la mairesse, Sonia Paulus, sans succès. L'homme nie catégoriquement avoir bénéficié du soutien d'entreprises. «C'était une petite campagne de village. Il n'y a rien là. Je ne pense pas que des entreprises aient souhaité mettre la main là-dessus pour des "peanuts". On parle de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, pas de Montréal.»

Michel Gilbert, Maire de St-Hilaire.

La petite municipalité a pourtant tout pour intéresser les entreprises, estime Sylvain Goudreault. «C'est une ville en pleine expansion. Il y a juste le tiers de développé. [Les entreprises] savent très bien que si elles mettent le nez ici, elles vont faire la "piastre".» La taille de Sainte-Marthe-sur-le-Lac a pratiquement doublé en 10 ans, le nombre de maisons passant de 3130 en 2001 à 6016 en 2011.

Après les élections, le renvoi d'ascenseur

Vieux routier de la politique municipale, le maire Paul Leduc, élu sans interruption à la tête de Brossard de 1990 à 2001, a eu droit à une toute nouvelle expérience lors de son retour en 2009. «Avant des élections, une firme m'offre de me financer au complet mon élection. J'ai dit non, never

L'entreprise, dont le maire refuse de dévoiler le nom ou même le domaine d'activité, a fait une deuxième tentative. «Après ça, elles ont été trois qui se sont mises ensemble pour me l'offrir. J'ai dit non. Il faut faire ça. Sans ça, je ne pourrais pas dormir s'il fallait que je rende des comptes à quelqu'un, s'il fallait que je trafique des contrats. Je suis un banquier; la rigueur, j'ai appris ça jeune.»

L'offre était peu détaillée, dit le maire, et c'était la première fois qu'on la lui faisait. «C'est: "Tiens, O.K., on s'occupe de ça." Mais c'était bien clair, absolument [qu'on voulait l'acheter].» Il connaissait indirectement le phénomène des élections clés en main, de sorte qu'il a compris ce qu'on attendait de lui. «Je connais une ville où après l'élection - c'était avant 2001 -, il y a quelqu'un qui était dans le bureau du maire et c'est lui qui "callait les shots", en bon français. Je sais aussi que ça se passe dans certaines municipalités, parce qu'on m'en a déjà parlé. On m'a déjà dit: "Écoute, après les élections, il y a des redevances..."»

Photo: Bernard Brault, La Presse

Paul Leduc, candidat à la mairie de Brossard, posant devant l'hôtel de ville.