Près de quatre mois après sa mise en place, la commission Charbonneau sur l'attribution des contrats de construction par le secteur public lance un appel à tous. Elle demande encore l'aide des citoyens susceptibles d'être témoins de collusion entre entrepreneurs ou de faveurs illicites accordées à des élus.

Dans sa vidéo d'une dizaine de minutes diffusée sur le site web de la Commission, mis en ligne mardi, la présidente, la juge France Charbonneau, a indiqué qu'elle comptait tenir une première séance publique en mai prochain. Par la suite, la Commission discutera avec les groupes ou les individus qui voudront être considérés comme «participants ou intervenants» durant les travaux de la commission. Après ces quelques jours, la Commission sera prête à recevoir ses premiers témoins dans le cadre des audiences publiques, a expliqué à La Presse Richard Bourdon, longtemps au service des communications de la Sûreté du Québec et maintenant porte-parole de la Commission.

On peut toutefois présumer que ces premières audiences publiques serviront à entendre des experts sur le processus d'adjudication de contrats publics. Dès lors, il est acquis qu'il n'y aura pas d'audiences publiques en juillet et en août. Un projet de règles de procédure sera dévoilé le 30 mars.

La juge s'est dite satisfaite de l'avancement des travaux depuis la mise en place de la Commission, en novembre 2011. Toutefois, elle s'est faite pressante quand elle a incité les citoyens qui pensent avoir été témoins de faits troublants à se manifester auprès de la Commission. «Si vous êtes informé de pratiques douteuses relatives à l'octroi ou à la gestion de contrats de construction dans votre municipalité, votre hôpital, votre école, votre commission scolaire, un ministère, un organisme public ou parapublic, une société d'État ou une firme privée mettant en cause des contrats publics de construction, il est essentiel que vous nous en informiez le plus rapidement possible», a soutenu la juge.

«Si vous vous doutez ou si vous avez des informations sur le fait que des soumissionnaires s'entendent pour fixer des prix à l'avance, pour se réserver des territoires, pour obtenir des contrats à tour de rôle, pour exclure quelqu'un d'un appel d'offres ou si vous constatez qu'un élu ou un fonctionnaire reçoit une faveur ou un avantage d'une personne dans le domaine de la construction, ou si vous apprenez qu'un parti politique, provincial ou municipal, obtient du financement relié à l'octroi de contrats de construction, contactez-nous, a-t-elle précisé. Si vous détenez des informations voulant qu'une organisation criminelle, quelle que soit son appartenance, soit impliquée dans une entreprise de construction, dites-le-nous. [...] En nous informant, vous vous aidez, vous nous aidez.» Deux points de contact principaux ont été mis sur pied: une adresse courriel (info@ceic.gouv.qc.ca) et une ligne confidentielle: 1-855-333-CEIC.

Le choix de la juge Charbonneau de présenter une vidéo plutôt que de tenir une rencontre avec la presse est étonnant. Selon le porte-parole de la Commission, Richard Bourdon, «avec le devoir de réserve des commissaires, il était impossible de tenir une conférence de presse avec une séance de questions-réponses». La vidéo a été choisie comme «moyen le plus efficace» de rejoindre tout le monde.

Mardi, le ministre des Transports, Pierre Moreau, a soutenu ne pas être surpris de cet appel à tous. Surtout, il n'entrevoit pas d'embouteillage avec cet afflux d'information. La juge «va faire la part des choses». «Ce n'est pas tout de recevoir des allégations, elle a des procureurs chevronnés et Mme Charbonneau connaît très bien les règles de droit, je n'ai pas d'inquiétude», a souligné M. Moreau. Transports Québec va collaborer sans réserve à l'exercice. «On va ouvrir les livres, montrer nos procédures d'octroi de contrats», a promis le ministre.

Le mandat de la Commission couvre une période de 15 ans. Les audiences seront essentiellement tenues à Montréal, trois semaines sur quatre et quatre jours par semaine. Il y aura des audiences en région, mais elles restent à préciser.

Réactions

L'annonce de la Commission a laissé le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, sur sa faim. «On a surtout hâte que ça commence avec les vrais témoins, les témoins importants qui représentent les entreprises importantes de la construction, les entreprises ou les individus qui ont donné des montants importants aux vieux partis. C'est ça qu'on a hâte de voir. On espère que Mme Charbonneau va accélérer le rythme. Parce que jusqu'à présent, on n'a rien vu», a-t-il lancé en marge de la réunion de son caucus. Lancé en novembre, l'exercice «démarre très lentement. Cela ne va pas assez vite». «Il faudrait que les audiences publiques concernant les personnes importantes commencent dès septembre, pas les experts», a dit M. Legault.

Au Parti québécois, le responsable des questions de sécurité publique, Bertrand St-Arnaud, s'est réjoui de voir la Commission «enfin sur les rails». «Enfin. Ça fait trois années qu'on réclamait cette commission d'enquête. Ce fut long, pénible par moments. Cela augure bien pour la suite des choses», a-t-il lancé.

Le travail se déroule assez rapidement, selon lui. Il ne faut pas oublier que «le mandat de la Commission est colossal. C'est normal que ça prenne quand même un certain nombre de semaines ou de mois.» L'exercice a été «placé entre les mains d'un commissaire expérimenté, d'enquêteurs expérimentés et de procureurs expérimentés. En ce sens-là, on est très à l'aise avec le fonctionnement actuel de la Commission.»