Les groupes qui se battent pour leurs droits linguistiques commencent à manquer de temps dans leur lutte pour réinstaurer le formulaire détaillé obligatoire de recensement.

Car si une décision de la Cour fédérale dans ce dossier se fait toujours attendre, voilà que le commissaire aux langues officielles reconnaît qu'il ne pourra forcer le gouvernement à faire marche arrière, même si sa décision d'abolir le caractère obligatoire du questionnaire long met en péril les droits des minorités linguistiques du pays.

Le commissaire Graham Fraser a déposé un rapport d'enquête préliminaire, en septembre, dans lequel il avoue ne pas avoir le pouvoir de renverser une décision prise par le fédéral. Le commissaire ne peut qu'évaluer la façon dont les ministères mettent en place leurs politiques, explique-t-il dans le document, dont La Presse Canadienne a obtenu copie.

Mais s'il ne peut intervenir directement, M. Fraser critique néanmoins la décision du gouvernement de Stephen Harper et le prévient que ses membres pourraient être tenus responsables si leur décision de rendre volontaire le questionnaire détaillé de recensement en venait à saper l'offre de services gouvernementaux aux francophones hors-Québec ou aux anglophones de la Belle Province.

«Le commissaire reste donc inquiet des éventuelles répercussions de cette décision sur la vitalité des communautés de langue officielle et l'application de la Loi sur les langues officielles», conclut Graham Fraser, dans son rapport de six pages.

Le commissaire aux langues officielles y explique avoir entamé son enquête à la mi-juillet, quelques semaines après que le gouvernement minoritaire conservateur eut annoncé discrètement qu'il modifierait son processus de recensement cette année. Puis, une vingtaine de plaintes ont suivi de peu cette annonce, lesquelles ont aussi été étudiées par M. Fraser.

Le commissaire s'est penché sur le rôle qu'ont joué les ministères de l'Industrie et du Patrimoine, le Secrétariat du Conseil du trésor et Statistique Canada au moment de décider de retirer le caractère obligatoire du formulaire long de recensement.

Comme ces institutions «n'ont pas participé au processus décisionnel», elles «n'ont pas enfreint leurs obligations», tranche M. Fraser.

Mais si les institutions fédérales visées s'en tirent à bon compte, quant à leur responsabilité dans cette affaire, le commissaire note en revanche dans son rapport qu'elles ont refusé de lui indiquer les conseils qu'elles ont fournis au gouvernement, en plaidant qu'il s'agissait de renseignements confidentiels.

Et seul le ministère du Patrimoine canadien a fait suite aux interrogations de M. Fraser en ce qui a trait aux effets que pourrait avoir la décision du gouvernement de transformer le questionnaire obligatoire en une «Enquête nationale auprès des ménages» volontaire. Une réponse jugée insuffisante, puisque Patrimoine canadien a simplement rétorqué, sans documents à l'appui, disposer d'autres moyens pour s'assurer de livrer les programmes nécessaires aux communautés linguistiques.

«Le Commissariat n'a pas de détails sur les fondements de cette affirmation ni aucune preuve que la décision n'aura pas d'effet néfaste sur la vitalité des communautés de langue officielle», déplore M. Fraser.

Le commissaire souligne en outre que le fédéral n'a pas cru bon de consulter les groupes représentant les minorités linguistiques au pays avant de prendre sa décision finale.

Si M. Fraser dénonce les dangers posés par la décision du fédéral pour les communautés linguistiques, reste qu'il ne peut probablement pas en faire plus pour s'y opposer, a jugé la directrice-générale du Quebec Community Groups Network, Sylvia Martin-Laforge, dont l'organisme s'est plaint au bureau de M. Fraser.

Les groupes de défense des droits des minorités linguistiques fondent donc maintenant leurs espoirs sur la poursuite déposée devant la Cour fédérale par la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), cet été.

Mais dans le cadre des audiences de la Cour fédérale, tenues fin septembre, le gouvernement avait plaidé qu'au-delà du 1er octobre il serait trop tard pour renverser sa décision, car les formulaires de recensement et les lettres qui les accompagnent auront été envoyées chez l'imprimeur.

Quatre jours après cette date butoir mise de l'avant par le fédéral, il semble donc que la FCFA commence à manquer de temps, puisque le juge n'a toujours pas rendu sa décision.

L'opposition aux Communes refuse cependant de baisser les bras, elle qui dénonce aussi la décision des conservateurs, quitte à avoir recours aux grands moyens.

«Jamais trop tard. Ils ont seulement qu'à ne pas faire le recensement, qu'ils le remettent à l'an prochain, qu'on change la date puis c'est tout. (...) Ça ne servira à rien celui-là», a lancé le leader du Bloc québécois, Gilles Duceppe.

Car si le retrait du caractère obligatoire du formulaire détaillé de recensement risque d'une part de s'avérer inconstitutionnel selon ses opposants, en vertu de la Loi sur les langues officielles, voilà que l'un des arguments mis de l'avant par le gouvernement Harper pour justifier sa décision a été démenti par des documents obtenus par le réseau anglais de Radio-Canada.

Le député conservateur Maxime Bernier avait argué cet été avoir reçu un millier de plaintes par jour sur le questionnaire obligatoire, lorsqu'il était ministre de l'Industrie et responsable de Statistique Canada en 2006.

Mais selon les dossiers consultés par CBC, Statistique Canada a plutôt reçu 882 plaintes au total sur les formulaires long et court, dont 22 concernaient le caractère «intrusif» des questions.

M. Bernier a répliqué au réseau de télévision, mardi, que les courriels ne pouvaient pas être retracés parce qu'ils ont depuis été supprimés.

«On est en train d'apprendre jour après jour que c'est une pure fabulation de la part des conservateurs de dire qu'il y avait des gens qui s'étaient plaints. Ils l'ont inventé», s'est indigné le néo-démocrate Thomas Mulcair.