L'eau commence à baisser pour de bon dans le lac Champlain et la rivière Richelieu, mais le débat ne fait que commencer: faut-il intervenir pour empêcher une autre inondation catastrophique? Est-ce un événement exceptionnel? Ou le signe précurseur de changements climatiques? Les experts sont loin de s'entendre sur les causes et les solutions.

Ce qui a fait le bonheur des skieurs l'hiver dernier dans le Vermont est devenu une calamité pour les riverains du Richelieu.

À la mi-mars, une tempête a déversé plus de 1 m de neige dans les montagnes Vertes, où il est tombé au total 2 m de neige au cours de ce mois.

Puis, des pluies records en avril et mai ont donné le coup fatal. Le lac Champlain, long de 200 km, a débordé.

«C'est une crue exceptionnelle», dit François Brissette, professeur à l'École de technologie supérieure et ingénieur spécialiste de l'hydrologie et du climat.

Au Québec, la construction est interdite dans les zones susceptibles d'être inondées tous les 20 ans. Elle est réglementée dans celles qui sont inondées en moyenne aux 100 ans.

Les données à ce sujet dans la vallée du Richelieu étaient toutes fraîches. De nouvelles cartes de zones inondables avaient été produites en 2005, et toutes les municipalités de la région venaient de refaire leur zonage en conséquence, affirme la MRC du Haut-Richelieu.

Mais la crue de 2011 dépasse toutes les prévisions, estime M. Brissette.

«On a près de 200 ans de données sur le lac Champlain, mais la crue de 2011 dépasse tellement la plus importante à ce jour que c'est presque sûr que la récurrence est de plus de 200 ans», dit-il.

Il est encore trop tôt pour préciser à quel point la crue de 2011 est exceptionnelle. Il faudra des années de recherche.

«Mettons que c'est 1000 ans, dit M. Brissette. C'est une possibilité. Alors il y a des gens qui ont été inondés cette année qui ne le seront jamais plus. Mais il y a aussi beaucoup de gens de la vallée du Richelieu qui sont abonnés aux inondations.»

En effet, ce n'est pas la première fois que le lac Champlain déborde. Après de graves inondations à la fin des années 70, la Commission mixte internationale, l'organisme canado-américain qui traite des questions touchant les eaux limitrophes, avait reçu le mandat d'étudier des solutions possibles de régulation des crues.

La CMI a conclu qu'un barrage avec évacuateur de crue pourrait être réalisé dans les rapides de Saint-Jean, au centre de Saint-Jean-sur-Richelieu. Le fond de la rivière serait creusé pour augmenter le débit. Cela permettrait de baisser au besoin le niveau du lac d'environ 30 cm, tout en étalant le pic de crue sur plusieurs jours.

En 1981, cette solution avait été jugée techniquement faisable et financièrement profitable, en ce sens que son coût aurait été inférieur à celui des dommages qu'elle aurait permis d'éviter. Mais la CMI ne la recommandait pas. Cette décision revenait aux politiciens, affirmait-on. Qu'en serait-il aujourd'hui?

«Un ouvrage de rétention coûterait très cher, dit M. Brissette. Et il aurait pour effet de retenir l'eau aux États-Unis. Pour régler le problème de Saint-Jean-sur-Richelieu, on causerait des problèmes aux États-Unis, alors je ne vois pas comment on pourrait y arriver politiquement.»

L'idée d'un barrage québécois ne serait plus nécessairement bienvenue du côté américain, dit Eric Smeltzer, du service de protection de l'environnement du Vermont. «Ce serait une très mauvaise idée sur le plan environnemental parce que beaucoup d'écosystèmes dépendent du cycle naturel de l'eau du côté américain.»

Tew-Fik Mahdi, directeur du laboratoire Hydro-environnement à l'École polytechnique de Montréal, ne cache pas son enthousiasme pour l'ajout d'un évacuateur de crue dans les rapides de Saint-Jean, même s'il dit qu'il faudrait mettre à jour l'étude de la CMI. «Maintenant qu'on a eu cette crue, il faut faire quelque chose. Si c'est déjà arrivé, c'est qu'il y a un risque. Il faut repartir sur la base du dernier rapport de la CMI de 1981. Il faut refaire le travail de ce rapport, avec les modélisations numériques et en tenant compte du fait que la population a doublé depuis.»

Selon M. Mahdi, avec les changements climatiques, les prévisions de récurrence des inondations ne sont plus aussi fiables. Une crue autrefois exceptionnelle pourrait se produire plus souvent, dit-il. «On doit faire quelque chose parce que, avec les changements climatiques, ça pourrait être plus fréquent.»

Ce n'est pas ce que montrent les recherches de M. Brissette. En 2007, il a publié avec des collègues une étude de l'effet des changements climatiques sur les crues de la rivière Châteauguay, juste à l'ouest du Richelieu.

Ses conclusions: les crues printanières diminueront, de 30% en moyenne, en dépit d'une hausse des précipitations.

Pourquoi? Parce qu'il ferait plus chaud l'hiver et que la fonte de la neige serait répartie sur plusieurs mois.

Alors pourquoi investir dans un ouvrage régulateur si la catastrophe de cette année est exceptionnelle et que le climat la rendra moins probable? «Les gens sont dans la plaine inondable et il faut faire quelque chose pour les aider, répond M. Mahdi. Je ne spécule pas sur la cause. Il faut voir si la proposition de 1981 est toujours valable.»

Mais M. Brissette estime que les dommages que subissent la plupart des sinistrés sont attribuables aux mauvaises décisions de zonage. «Les gens sont en conflit d'intérêts, dans la mesure où les promoteurs recherchent le bord de l'eau et les maires veulent augmenter leurs revenus», dit-il.

Les inondations du Richelieu donneront-elles naissance à une commission d'enquête, comme ce fut le cas après le déluge du Saguenay, en 1996?

«En fait, il faudrait une commission d'enquête sur les zones inondables, dit-il. Tout le monde reconnaît qu'il y a un problème.»

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Les crues catastrophiques du Lac Champlain

Les inondations dans la vallée du Richelieu et autour du lac Champlain reviennent chaque année, mais des épisodes plus graves sont observés aux 20 ou 30 ans environ, selon la Commission mixte internationale. Ce fut le cas en 1900-1903, en 1933-1937 et en 1969-1978. Avant cette année, la pire crue a été celle d'avril 1993, quand le niveau du lac à Burlington, au Vermont, a atteint 101,9 pi au-dessus du niveau de la mer. Il y a aussi eu une crue importante le 4 mai 1869, alors que le niveau aurait dépassé 102 pi à Burlington. Le lac Champlain est observé depuis 1827. Mais cette année, tous les records ont été fracassés. Le niveau du lac à Burlington a atteint 103,26 pi le 6 mai. La crue de 2011 dépasse donc de plus de 1 pi, soit environ 40 cm, les records de tous les temps. C'est comme si un athlète avait abaissé le record du 100 m de 3 secondes.

Du Saguenay au Richelieu

Les inondations catastrophiques du Saguenay, en juillet 1996, ont été causées par des pluies qui dépassaient les récurrences de plus de 100 ans, selon Environnement Canada, qui classe cet épisode parmi les pluies les plus intenses jamais enregistrées dans tout le pays. Cependant, les dommages qu'elles ont causés ont été grandement aggravés par la mauvaise gestion des barrages dans la région. C'est ce qu'avait conclu la commission Nicolet. En effet, en amont de la ville de Saguenay, plusieurs barrages avaient des capacités de décharge différentes. Par exemple, le débit maximal permis dans la zone urbaine était quatre fois moindre que la capacité maximale de décharge d'un barrage situé en amont.

Les plaines inondables disparues

Les plaines inondables jouent un rôle essentiel pour ralentir la force des crues. Dans une rivière laissée à l'état naturel, ces plaines sont inondées chaque année ou presque. La rivière déborde de façon égale le long de son cours et l'eau se répand tranquillement, déposant des nutriments qui profitent aux plantes. Mais l'intervention humaine fait disparaître ces plaines. On les draine pour pouvoir les mettre en culture et profiter de leur fertilité. On les isole de la rivière par des digues, des routes ou des chemins de fer. Résultat: l'eau ruisselle plus vite. Au Vermont, 74% des cours d'eau ont perdu l'accès à leur plaine inondable, selon le service de protection de l'environnement de l'État. La crue de 2011 serait demeurée exceptionnelle même si les plaines inondables avaient été intactes, mais leur disparition a aggravé le problème.

Pour savoir si vous êtes dans la zone inondable

La municipalité régionale de comté du Haut-Richelieu a publié sur son site web toutes les cartes de zones inondables de la région. Allez à l'adresse www.mrchr.qc.ca/plaineinondable.php et cliquez sur la carte correspondant à votre secteur. Par ailleurs, le gouvernement du Québec a publié des photos satellites qui montrent l'étendue des inondations au 8 mai dernier, en comparaison avec des photos aériennes prises en période plus sèche. Rendez-vous à l'adresse vuesensemble.atlas.gouv.qc.ca/zoomify/Riviere_Richelieu_inondation.htm