Alors qu'il se faisait graduellement à l'idée qu'il allait perdre sa bataille contre le cancer cet été, Jack Layton s'est souvent excusé auprès de ses proches collaborateurs. Le NPD avait fait des pas de géant aux élections du 2 mai, notamment au Québec, et il avait l'impression de laisser tomber ses troupes au moment même où il était possible de rêver au pouvoir la prochaine fois.

Mais il leur a aussi rappelé qu'il y avait encore du boulot à abattre, qu'il ne fallait pas abandonner la cause.

Il s'est excusé plus d'une fois auprès d'Anne McGrath, sa chef de cabinet, après avoir appris de ses médecins, au beau milieu du mois de juillet, trois semaines après la fin de la session parlementaire, qu'il souffrait d'un autre cancer.

«Il gardait espoir et était toujours aussi optimiste que d'habitude. Il croyait tellement dans ce que nous faisions. Il voulait tellement que nous continuions le travail», a confié Anne McGrath à La Presse.

«Il m'a souvent dit durant l'été: "Je m'excuse pour ce qui arrive. Je sais que c'est vraiment difficile pour toi. Mais nous avons entrepris ce voyage ensemble il y a longtemps, et il faut continuer. Tu ne peux pas laisser cela t'affecter. Je te demande de continuer le travail." Il avait le regard tourné vers l'avenir même s'il savait que les choses allaient se terminer pour lui.»

Il s'est aussi excusé auprès de Karl Bélanger, son attaché de presse depuis son élection à la tête du NPD, le 23 janvier 2003, parce qu'il n'avait pu lui annoncer en personne, le 21 juillet, qu'il devait mener une autre bataille contre le cancer. Les deux hommes ont discuté de la meilleure façon d'annoncer la nouvelle aux Canadiens lors d'une conférence téléphonique à laquelle a participé Mme McGrath.

«Une voix sexy»

Il s'est excusé une autre fois auprès de M. Bélanger le 25 juillet, jour où ils se sont rencontrés dans un hôtel de Toronto pour annoncer la nouvelle aux Canadiens, parce que sa voix était rauque et moins forte que d'habitude et qu'il était amaigri.

«Il n'était pas certain qu'il était présentable pour les médias. Je lui ai dit: "Écoutez, certains diraient que vous avez une voix sexy, monsieur." Il a ri et il a dit: "D'accord, j'accepte cela." Et on a procédé à la conférence de presse», a raconté mardi M. Bélanger.

Quelques minutes après son annonce, qui a semé la consternation au pays, Jack Layton a reçu un appel. C'était le premier ministre Jean Charest, qui voulait lui souhaiter la meilleure des chances. Jean Charest a bien connu le père de Jack Layton, Bob Layton, qui a été ministre dans le gouvernement conservateur de Brian Mulroney. Il était souvent le premier à appeler le chef du NPD dans les occasions importantes.

Fidèle à son habitude de ne jamais laisser le hasard déterminer le cours des choses, Jack Layton a discuté avec Mme McGrath des éventualités auxquelles on pouvait désormais s'attendre. Trois possibilités ont été évoquées en toute franchise: le retour de M. Layton aux Communes plus tard que le 19 septembre, son retrait de la vie politique si la maladie l'exigeait, et sa mort.

Si le pire se produisait, il tenait à livrer un dernier message aux Canadiens. «Il était très clair durant tout l'été qu'il voulait dire quelques mots aux Canadiens, qu'il ne voulait pas disparaître sans dire un mot», a dit Mme McGrath.

La lettre a été rédigée samedi après-midi au domicile de M. Layton, à Toronto, après quatre heures de discussions avec sa femme, Olivia Chow, également députée aux Communes, ainsi que Mme McGrath et Brian Topp, président du NPD.

«Avec beaucoup d'amour, Jack»

Jack Layton est mort entouré de ses proches lundi matin à 4h45. Le destin a voulu que Karl Bélanger, qui devait fêter ce jour-là son deuxième anniversaire de mariage, n'ait pu dire adieu de vive voix à son patron.

Il a reçu un dernier courriel de lui la semaine dernière: «Nous avons accompli beaucoup de choses ensemble, mon cher ami. Encore tellement à faire. Et ne les laisse jamais te dire que ça ne peut pas être fait. Avec beaucoup d'amour, Jack.»

«Jack Layton était le même homme devant et derrière les caméras. Il était le même dans les corridors du parlement ou dans la rue. C'est ce qui a fait de lui un politicien si attachant. Il était près des gens, et les gens le lui rendaient bien», a dit M. Bélanger.