L'effet conjugué de la folie, du stress et, peut-être aussi, de la bêtise débouche inexorablement sur des dérapages peu glorieux, comme celui que j'ai découvert au cours de mes recherches. Le 30 mai 2009, trois soldats du 3e Bataillon du Royal 22e Régiment de Valcartier avaient caché un crâne dans un recoin de leur base, sur lequel ils avaient peint une cible, dessiné des moustaches et inscrit la date où ils l'avaient trouvé, en plus de le coiffer d'un chapeau de Noël, m'a-t-on dit.

Ce n'est que deux jours plus tard que le commandant du détachement a été mis au courant de l'histoire par un caporal-chef.

D'où venait ce crâne? Selon ce que l'ANP, la police nationale afghane, a indiqué aux autorités militaires canadiennes, un policier afghan le leur aurait donné alors qu'ils étaient en opération près d'un cimetière. Était-ce un cimetière taliban?

Pour quelle raison ce policier avait-il agi ainsi? Visiblement choqué, l'un des militaires qui m'a soufflé cette anecdote dégoûtante, et qui était présent en Afghanistan à cette époque, m'a en outre raconté que ces trois soldats avaient rapporté leur prise de guerre en la fixant sur leur blindé -information que je n'ai pu valider.

Ce militaire imaginait avec une pointe de dégoût le blindé orné de sa relique macabre traversant les villages sous les yeux médusés de leurs habitants.

Les soldats coupables de cette ignominie, qu'on croirait tout droit sortie des heures les plus sombres de la guerre du Vietnam, ont été rapatriés immédiatement à la base de Valcartier, où ils ont subi un procès par voie sommaire, comme me l'a confirmé la Défense nationale.

Ils ont été accusés en vertu de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale, qui réprime toute «conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline». L'un d'eux a payé une amende de 500$ et tous trois ont fait l'objet d'une réprimande et de mesures administratives que l'armée tient secrètes (cela peut aller jusqu'à l'exclusion des Forces).

Ils ont aussi été privés des primes versées aux militaires déployés en Afghanistan. Quant au crâne, il a été rendu dans une boîte au chef-adjoint de district par un officier de la COCIM (coopération civilo-militaire) avec les excuses de l'armée!

À la même époque, d'autres crânes sont apparus sur les carrosseries: des têtes de mort peintes, accompagnées de messages à l'adresse des insurgés, une pratique largement répandue au sein des forces américaines. «Nous, on tue les talibans, ce n'est pas comme les Canadiens», m'a répondu avec un air provocateur un marine qui était en train d'en peindre une sur la tourelle de son Humvee.

Je lui faisais part de ma surprise en lui précisant que ce genre de chose n'était pas toléré au sein des troupes canadiennes. Puis il a ajouté: «Un prisonnier taliban m'a déjà dit que, dans l'ordre, ils préféraient attaquer des Américains, puisque nous sommes leur vrai ennemi, puis les Anglais, pour des raisons historiques, et enfin les Canadiens, car ils ne sont pas la cible la plus intéressante pour eux.»