«Nous sommes dans une zone de guerre, pas dans un parc d'attractions.» C'est par cette petite phrase assassine, affichée en février 2010 sur le site internet de la Force internationale d'assistance à la sécurité que le sergent-major Michael T. Hall a sonné la fin de la récréation sur la base multinationale du Kandahar Air Field (KAF) la base principale de l'OTAN près de Kandahar. Adieu les Burger King, Pizza Hut, Subway, Dairy Queen et autres enseignes porte-étendard de la «culture» nord-américaine qui pullulaient autour du boardwalk, l'avenue du Mont-Royal du camp, pour conforter le moral des troupes. Une décision entérinée peu après par le général Stanley McChrystal, alors commandant en chef des troupes de la FIAS en Afghanistan. Le message envoyé aux soldats était clair: oubliez les Whoppers, il est temps de se recentrer sur la mission.

Un des motifs invoqués pour justifier cette décision était de nature purement logistique. Pour l'état-major de la FIAS, il devenait impératif de récupérer des espaces, notamment pour le stockage, dans la perspective de l'arrivée imminente de renforts de dizaines de milliers de soldats supplémentaires. [...] Deuxième motif, il n'est pas question de continuer à gaspiller des ressources militaires pour acheminer et sécuriser des cartons de pains, de sauce tomate bourrée de sucre et de sel et de pots de cornichons, au détriment du ravitaillement en eau, en nourriture et en munitions des soldats.

Cette décision impopulaire a fait grincer bien des dents sur la base. Sur les blogues, les attaques ont fusé de toutes parts. «Combien de ces courageux généraux ont été tués depuis le début de la mission?» «Pas étonnant de la part d'un homme qui ne prend qu'un repas par jour.» Mais je parie que l'initiative discutable du général a fait sourire les soldats affectés dans les bases opérationnelles avancées (FOB), où le confort est plus que rudimentaire. Ces derniers ne cachent pas leur mépris envers les Kafards, surnom péjoratif et explicite qu'ils ont attribué aux résidants permanents de la base de KAF. À les entendre, les Kafards sirotent leur cappuccino frappé et passent leur temps à se lamenter, pendant que d'autres meurent au combat à quelques minutes de vol d'hélicoptère.

Un tel antagonisme n'a rien d'étonnant. Toutes les armées du monde sont une sorte de village gaulois agité par des rivalités entre les différents armes et corps de métier, et où il est de coutume de cracher sur les «planqués» de l'état-major! Les Kafards pouvaient toutefois se consoler. Le Tim Hortons - qu'on avait amené à grands frais (près de 4 millions de dollars) par avion-cargo en 2006 pour assurer le moral des troupes - n'était pas menacé par le grand nettoyage de printemps ordonné par le général McChrystal. Seulement déplacé, hors de sa vue, dans la zone où résident les Canadiens. Voilà au moins une victoire à mettre à l'actif du Canada!

Pour certains esprits critiques, la base de KAF ressemble à un vrai camp de vacances, un genre de séjour tout compris, ennuyeux certes, mais où on ne risque pas grand-chose, à part se fouler une cheville, se brûler avec un café ou, si on est très malchanceux, recevoir une roquette sur la tête. «Être déclaré atteint de stress post-traumatique à KAF, c'est la honte», assène un soldat qui a passé le plus clair de son temps «outside the wire».

La base de KAF est située à deux petites heures de vol de Dubaï. Mais voyager de Dubaï à Kandahar, c'est comme se rendre de Monaco à Port-au-Prince. Passer du «paradis» à l'enfer, le temps d'un plateau-repas et de quelques pages de lecture. Deux heures à contempler le paysage qui défile devant les hublots d'un antique Boeing 737-200F d'une compagnie nolisée du Maryland, qui fait la navette deux fois par semaine à raison de 600$ par trajet. À bord, on trouve des civils employés sur la base, des mercenaires et des journalistes.

La route empruntée survole d'abord le golfe Persique, puis c'est l'Iran - du moins je l'imagine, car le commandant de bord n'est pas très loquace sur l'itinéraire emprunté. Une succession de grandes étendues de sables sculptées par les vents et de hautes montagnes abruptes aux sommets parfois saupoudrés de neige. [...].

Au loin, la base de Kandahar est enveloppée dans une sorte de brume grisâtre. Difficile de savoir s'il s'agit d'un brouillard ou d'un nuage de poussière. L'avion la dépasse, puis vire subitement vers la gauche et amorce une descente rapide. [...] La manoeuvre n'a duré que cinq minutes. [...]