Depuis 2002, 3000 soldats canadiens patrouillent en Afghanistan. Quelque 150 d'entre eux sont morts au combat. Plus de 1500 ont été blessés, parfois très gravement. À huit mois du départ prévu des troupes canadiennes, cette mission en valait-elle la peine? Deux politiciens afghans nous donnent leur point de vue. Pour l'un, la mission canadienne a été tout simplement inutile. Pour l'autre, au contraire, elle est si essentielle que le départ des soldats canadiens pourrait marquer le début d'une nouvelle guerre civile dans le pays.

Youssef Pachtoune est dans le secret des dieux. Il est proche du président Karzaï et il suit de près les négociations avec les talibans.

À l'aube de la soixantaine, il en a vu de toutes les couleurs. Il a soutenu les moudjahidine qui se sont battus contre les Russes, il a vécu l'exil au Pakistan, puis le retour au pays après la chute des talibans.

Il a été gouverneur de Kandahar en 2003. C'est là que je l'ai rencontré pour la première fois. Je l'ai revu hier. En sept ans, il a vieilli; ses cheveux ont grisonné, son dos s'est voûté. Le poids de la guerre.

Il est toujours aussi vif. Et toujours aussi proche du président Hamid Karzaï. Leurs pères sont cousins. Ils se connaissent depuis leur plus tendre enfance, époque bénie où l'Afghanistan vivait en paix.

Youssef Pachtoune est l'un des principaux conseillers de Karzaï. Il dirige une équipe d'ingénieurs qui veille à la reconstruction. Il travaille avec six ministères différents. L'enfer.

«Il y a tellement d'acteurs et si peu de coordination, la situation est chaotique, soupire-t-il. Et c'est la même chose avec la communauté internationale, qui est incapable de se coordonner.»

«Inutile»

Il ne se gêne pas pour égratigner le Canada. Un brave pays qui envoie ses soldats au front pour aider l'Afghanistan, mais qui ne connaît rien à l'art de la guerre.

«Dès que les Canadiens exercent de la pression sur une région, les talibans se déplacent. Et quand les soldats changent de place et attaquent un autre endroit, les talibans se déplacent de nouveau. Leur stratégie militaire ne fonctionne pas.

-Tout ce que les Canadiens ont fait est inutile?

-Oui, inutile.»

Il n'aime pas voir des soldats étrangers sacrifier leur vie pour son pays. «J'ai honte. Je reste chez moi pendant que vos hommes se font tuer. Je me sens lâche.»

Il critique aussi Karzaï: «Il a de belles qualités et il fait du bon boulot, car les conditions sont très difficiles. Il est intègre, il réussit à maintenir l'équilibre entre les différentes ethnies et il est respectueux des droits de l'homme. On a parfois des discussions très viriles. Je lui dis: «Mais vas-y! Prends une décision!» Karzaï hésite beaucoup. C'est un faible et un émotif. Il pleure parfois. Il manque aussi de vision, il ne voit que le court terme.»

Pendant deux heures, Youssef Pachtoune parle sans toucher à son verre de Coca-Cola. Calé dans son fauteuil, il gesticule, argumente, s'enflamme. Il prend à peine le temps de respirer. Son anglais est impeccable, avec une trace à peine d'accent pachtoune. Il prend mon calepin de notes et dessine à grands traits une carte de son pays. Helmand, Kandahar, Herat, Kaboul, la frontière avec le Pakistan. À la fin, sa carte est illisible. Trop de lignes, trop de mots.

Négocier avec les talibans

Selon lui, Karzaï est un président hésitant, prudent, mais sa position sur les talibans est claire: il faut négocier et les intégrer dans le gouvernement, sinon la paix est impossible.

Youssef Pachtoune approuve l'idée, mais l'opération est délicate. Très délicate. Après tout, la communauté internationale s'est précipitée en Afghanistan pour chasser les terroristes de ben Laden et les talibans du mollah Omar, qui travaillaient main dans la main. Et là, Karzaï et les Occidentaux leur ouvriraient les bras?

Négocier, oui, sauf que les talibans ne forment pas un bloc homogène. Youssef Pachtoune reprend mon calepin de notes. Il dessine une pyramide. «Ici, en haut, explique-t-il, vous avez le noyau dur des talibans, dirigé par Haqqani. On ne peut pas négocier avec eux. Ils veulent faire tomber le gouvernement Karzaï et fonder un émirat islamique où il n'y aurait pas d'élections.

«Mais il y a aussi les talibans modérés du mollah Omar qui, eux, acceptent une certaine forme de démocratie. Par contre, ils exigent l'application intégrale de la charia (loi islamique) civile et criminelle. Ils ne croient pas aux tribunaux, ils veulent couper la main aux voleurs et faire des exécutions publiques dans les stades. Nous ne sommes pas d'accord. Alors, nous négocions.»

Ils demandent aussi une amnistie. Pas de poursuite pour crimes de guerre, pas de condamnation.

Vaste programme. Youssef Pachtoune se lève lentement. Il sort prendre l'air. Il regarde le ciel étoilé de Kaboul, les mains dans les poches. Il se demande peut-être si, un jour, il connaîtra la paix et pourra enfin se reposer.