Depuis le début des années 2000, la Ville de Laval a vendu deux immenses terres à des prix étonnamment bas à des sociétés de Giuseppe Borsellino, connaissance du maire Gilles Vaillancourt, selon une enquête de La Presse.

Les terres sont situées dans un nouveau lotissement appelé Le Bergerac. Elles sont au coeur du quartier Chomedey, au nord du boulevard Saint-Elzéar, entre les boulevards Curé-Labelle et Daniel-Johnson.

Selon une analyse de La Presse, les deux terres (voir la carte) achetées en 2000 et 2004 ont été payées 85 cents le pied carré, en moyenne. En comparaison, M. Borsellino a payé plus du double pour des terres voisines qui appartenaient à des tiers privés, soit 2,05$ le pied carré. Pour la Ville, cet écart signifie un manque à gagner d'environ 2,5 millions de dollars.

Une des deux transactions avec la Ville a été faite sans appel d'offres. L'autre a été conclue après la publication d'un appel d'offres dans le plus petit des journaux locaux, un hebdo qui en était alors à sa dernière parution. L'avis ne précisait pas la superficie (1,2 million de pieds carrés). Les promoteurs n'avaient qu'une semaine pour déposer leur offre, une période jugée anormalement courte par des experts consultés par La Presse.

Les entreprises de M. Borsellino ont aménagé rues, égouts et réseaux d'eau sur les terrains et les ont revendus en petits lots à des entrepreneurs, jusqu'à 24$ le pied carré. Ces derniers y ont construit des maisons de 350 000$ à 560 000$.

David De Cotis, président du principal parti de l'opposition, le Mouvement lavallois, est choqué. «C'est irresponsable, scandaleux, a-t-il dit. C'est le genre de choses qui arrivent trop fréquemment à Laval. Le problème, c'est que le maire et son équipe ne sont pas imputables de leurs décisions.»

Giuseppe Borsellino, président du Groupe Petra, est un important promoteur immobilier. Il figure parmi les patrons d'honneur de la Fondation Marcel-Vaillancourt pour l'enfance lavalloise. Cette organisation caritative de la famille Vaillancourt est codirigée par le frère de Gilles, Benoit Vaillancourt.

De son côté, Gilles Vaillancourt a été l'un des invités du bal de la Fondation communautaire canadienne-italienne du Québec en 1999, dont M. Borsellino est membre fondateur. Ce bal servait à financer la construction d'un centre sportif de Saint-Léonard, où trône aujourd'hui le buste de Giuseppe Borsellino. En 2006, les deux hommes ont partagé la présidence d'honneur du Bal viennois pour la Fondation scolaire de Laval.

Transaction privée avec le DG

Gilles Vaillancourt n'est pas le seul à connaître M. Borsellino. Claude Asselin, directeur général de la Ville au moment des transactions, a rencontré M. Borsellino à plusieurs occasions dans le cadre de son travail.

En 2004, il a personnellement acheté un terrain à bon prix à une des entreprises de M. Borsellino pour y faire construire sa fastueuse demeure. Le terrain n'est pas situé dans le quartier Le Bergerac, mais dans un autre projet de M. Borsellino, en bordure de la rivière des Mille-Îles, à Laval.

Le terrain, aménagé, a été payé 14,32$ le pied carré, beaucoup moins que les terrains voisins acquis à la même époque. En moyenne, ces derniers se sont vendus 19,68$ le pied carré. M. Asselin a donc réalisé une transaction qui lui a fait économiser environ 50 000$. La maison en pierre érigée sur le terrain, qui compte 21 pièces, vient d'être vendue pour 1,4 million de dollars.

J'ai fait attention quand j'ai acheté mon terrain de le faire en conformité avec l'éthique et les bonnes normes», a-t-il dit lorsque nous l'avons joint chez Dessau, une firme de génie-conseil où il est maintenant cadre.

De leur côté, les évaluateurs et les porte-parole de la Ville de Laval soutiennent que les terres de la Ville ont été vendues à des prix adéquats. Un porte-parole du maire a ajouté que M. Vaillancourt et M. Borsellino n'avaient pas de «relation d'amitié particulière».

Ce n'est pas la première fois que le tandem Laval-Borsellino fait la manchette. En 2005, le ministère de l'Environnement a découvert qu'un marais avait été remblayé sans autorisation dans le domaine Islemère, ce qui a soulevé l'ire du ministre Thomas Mulcair. Le marais était situé sur des terrains de la Ville et d'une société de M. Borsellino, à Sainte-Dorothée. Le promoteur a été obligé de restaurer une partie du marais.

Des transactions de terrains ont aussi suscité la controverse à Montréal. En mai dernier, le vérificateur général, Jacques Bergeron, s'est demandé si la Ville avait vendu à un prix raisonnable un grand terrain à un consortium codirigé par M. Borsellino. «Notre vérification ne nous a pas démontré avec certitude que le montant de mise à prix correspondait à la valeur marchande», a-t-il écrit dans son rapport.

À Laval, l'une des transactions du Bergerac que nous avons analysées a été effectuée en 2004 par la société à numéro 9136-2764 Québec, dirigée par M. Borsellino. Dans ce cas, la société de M. Borsellino a payé la terre à la Ville de Laval 1,20$ le pied carré, contre 2,10$ pour la terre du voisin, propriété de l'entreprise Développement Pangen.

Le représentant de Pangen, Giuseppe Di Battista, se rappelle bien la transaction. Il juge que le prix de 2,10$ «n'a pas été trop, trop formidable». Il ne connaissait pas le prix obtenu par la Ville pour le terrain adjacent lors de notre appel. Lorsque La Presse lui a appris qu'il s'élevait à seulement 1,20$, il s'est mis à rire. «Eh bien!» s'est-il exclamé.