Que les amateurs de films indiens se le tiennent pour dit: on trouve parfois des DVD derrière le rayon des fruits et légumes.

Situé au fond d'une épicerie sri-lankaise de la rue Jean-Talon, le Centre Manoranjan est la caverne d'Ali Baba du cinéma bollywoodien au Québec. L'endroit est à peine plus grand qu'une cabine téléphonique, mais on y trouve des centaines de DVD, de CD et de cassettes de musique et de films indiens de 1946 à 2011. Le tout vendu par un seul homme: Jatinder Bandhari, le plus cinéphile des sikhs montréalais.

«J'ai tout ce que tu désires», lance le commerçant en désignant son étalage - ou plutôt son «empilage» - de films, de trames sonores, de magazines, de mantras et de musique classique indienne. «Mon stock est consacré à Bollywood à 90%. Et j'en ai bien plus dans des boîtes. Pas 100, pas 1000, 2000 ou 3000, mais des quantités illimitées!»

M. Bandhari ne s'en cache pas: il se passionne pour la culture bollywoodienne. Et s'il n'a pas vu tous les films de son magasin, c'est tout comme. «Tant que mon corps me le permet, j'écoute tout, dit-il. Il y en a qui ont besoin de manger pour vivre; moi, c'est le cinéma qui me nourrit.»

À 50 ans bien sonnés, il admet avoir une nette préférence pour les vieux films. Des classiques comme Barsaat, Pakeezah et Naya Dawz n'ont plus de secrets pour lui. Et il peut vous parler pendant des heures du réalisateur Raj Kapoor, de la chanteuse Asha Boshle ou des acteurs Hema Malini («The Dreamgirl of India») et Rajesh Khanna («notre première superstar!»).

Pour ce qui est du cinéma moderne, en revanche, on le sent beaucoup moins enthousiaste. Et s'il a des films récents dans son magasin, c'est bien parce qu'il faut répondre à la demande. «Je n'ai rien contre, nuance-t-il. Mais mon problème, c'est la musique. Je ne suis pas fort sur les remix. Moi, je suis plutôt de la vieille école.»

Une clientèle élargie

Ironiquement, Jatinder Bandhari n'avait vu que trois films indiens avant de débarquer à Montréal, en 1974.

Mais il s'est vite rattrapé.

Pendant 25 ans, il a organisé des concerts et des projections pour sa communauté. Les films étaient montrés dans des cégeps ou des salles indépendantes comme le Rialto ou le cinéma Décarie. Mais la concurrence des grandes chaînes et des pertes financières substantielles («plus de 200 000$») l'ont forcé à se replier.

Cela dit, il ne regrette absolument rien. Ses activités de promoteur lui ont permis de rencontrer les plus grandes stars de passage (il a les photos pour le prouver!) et d'accumuler une impressionnante collection d'affiches de cinéma - près de 4000, selon lui (voir notre vidéo sur Cyberpresse). De plus, il se dit heureux d'avoir «diverti» les gens.

Aujourd'hui, son univers se résume à cette petite boutique de 2 m2. Mais sa clientèle, elle, s'est élargie. Maintenant que le cinéma bollywoodien a dépassé les frontières de l'Inde, on vient de partout pour acheter chez lui. «J'ai plus de clients non indiens que de clients indiens. Iraniens, Grecs, Canadiens français, Syriens... Ils me demandent des films romantiques, je leur fais des suggestions, ils ne sont jamais déçus», lance-t-il, le sourire en coin.

Reste que les affaires pourraient aller mieux. Avec la folie du téléchargement et de la télé par satellite, la caisse enregistreuse ne sonne plus aussi souvent. Mais M. Bandhari tient à garder son comptoir, tant «pour les gens qui ne savent pas télécharger» que pour lui, qui serait sans doute un peu perdu, loin de son environnement naturel.

Néanmoins, il se dit prêt à tout pour augmenter ses revenus. Irait-il jusqu'à jouer dans un film de Bollywood? «N'importe quand, dit-il, je peux tenir tous les rôles! Papa ci, papa ça, grand sage, méchant, pas de problème. Même recevoir des coups, pas de problème!»

Le Centre Manoranjan est situé au 808, rue Jean-Talon Ouest, au fond du marché Priyanka.

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Un festival à Montréal

Il y a trois semaines a eu lieu à Toronto la 12e remise des prix internationaux du cinéma indien, surnommés les « Oscars de Bollywood ». Bien que nettement moins sud-asiatique que la métropole ontarienne, Montréal n'est pas en reste, comme en témoigne le nouveau festival de cinéma bollywoodien qui devrait être présenté chez nous d'ici l'hiver prochain. « La date n'est pas encore fixée, mais le festival s'appellera Le Meilleur de Bollywood », a confirmé son instigateur, Antoine Zeind, président des films AZ. M. Zeind, qui distribue régulièrement des films indiens à l'AMC Forum, espère que sa programmation sera à 30 % sous-titrée en français. Dans trois ans, si tout se passe comme prévu, son festival sera admissible aux subventions municipales, ce qui lui permettrait de faire venir des vedettes du cinéma indien... qui ont pris la mauvaise habitude d'ignorer Montréal au profit de Toronto. Selon M. Zeind, il y a effectivement un intérêt grandissant pour le cinéma indien. « En 2004, quand j'ai commencé à l'AMC Forum, j'en ai présenté quatre. Depuis deux ou trois ans, c'est une quinzaine en moyenne. » Le dernier en date, Zindagi Na Milegi Dopara, est à l'affiche depuis hier à l'AMC.