Le procès du cardiologue Guy Turcotte est particulièrement éprouvant. Certains détails difficiles à supporter sont dévoilés jour après jour par notre journaliste. Nous préférons vous en avertir.* * *

Lorsqu'il a appris, le 15 janvier 2009, que sa femme le trompait avec son meilleur ami, Guy Turcotte a décidé de ne rien dire et ne rien laisser paraître pour ne pas mettre en péril le voyage au Mexique que la petite famille s'apprêtait à faire deux jours plus tard.

Cette attitude de refoulement, dans des moments où la peine et la colère le rongeaient, était courante chez Guy Turcotte, si l'on se fie au témoignage qu'il a rendu, mardi, à son procès pour le meurtre de ses enfants. Durant tout son récit, qu'il a fait d'une voix traînante et parfois cassée par les sanglots, l'homme de 39 ans a répété que telle ou telle situation avec Isabelle Gaston le rendait «triste», «down» et «malheureux», mais qu'il ne savait pas comment réagir. «J'avais l'impression de marcher sur des oeufs.» «Ça me déchire, je ne sais pas quoi faire.» «Je vais y aller quand même et je ne dirai rien...»

«Oui, ça me dérange, mais je ne suis pas capable de le lui dire», a-t-il dit notamment au sujet d'un voyage que Mme Gaston a fait à Cuba avec les enfants, à Noël 2008, alors que lui devait travailler à l'hôpital.

Un peu plus tôt, M. Turcotte avait raconté qu'Isabelle Gaston et lui s'étaient mariés en 2003 et s'étaient établis à Prévost, dans les Laurentides. Il a obtenu un poste de chirurgien cardiologue à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme. Mme Gaston a terminé ses études en médecine et elle est devenue urgentologue au même hôpital peu après. Elle a travaillé à temps partiel un certain temps, car elle a accouché d'Olivier en avril 2003 et d'Anne-Sophie en décembre 2005.

La conciliation travail-famille était difficile pour les deux médecins, a fait valoir M. Turcotte. Les querelles de ménage, notamment au sujet des tâches domestiques, étaient nombreuses. Selon M. Turcotte, c'est Mme Gaston qui trouvait les solutions. Ainsi, elle a embauché une femme de ménage. Mais les disputes ont continué. Elles étaient si intenses aux yeux de M. Turcotte qu'il a pensé au suicide. En 2007, il a même songé aux moyens de le faire. Il a songé à boire du méthanol «dans du lave-vitre», à prendre du poison à rats pour ensuite se jeter du toit de la maison, à se pendre. Mais, selon lui, ce n'étaient que des pensées, ce qui est très différent du passage à l'acte.

Estime de soi

M. Turcotte soutient qu'il avait de gros problèmes d'estime de soi et qu'il avait de la difficulté à communiquer, alors que sa femme avait une vie sociale intense. Elle sortait, s'entraînait, se faisait facilement des amis. Il avait toujours le sentiment de ne pas être à la hauteur, se culpabilisait beaucoup et ne se trouvait pas bon. Le couple avait du mal à se parler. Mme Gaston a incité M. Turcotte à consulter un conseiller en communication, Luc Tanguay, qu'elle avait commencé à voir elle-même, dans le but de peut-être réorienter sa carrière. M. Turcotte y est allé à partir de 2008 et y a trouvé du réconfort. Il se confiait à M. Tanguay sans crainte d'être jugé.

«Il (Luc Tanguay) m'a dit: «T'es pas un trou de cul. Tu es intelligent, tu as une belle femme qui t'aime, tu as des enfants extraordinaires, une belle carrière, tu n'es pas laid. Arrête de dire que tu n'es pas bon.» Je suis obligé de lui donner raison. On se met à travailler sur la confiance, sur l'estime de moi», a raconté M. Turcotte.

Malgré tout, le couple continue à battre de l'aile. Le 15 janvier 2009, M. Turcotte apprend qu'Isabelle Gaston le trompe avec Martin Huot, leur entraîneur personnel, qui est devenu un ami très proche. Il ne dit pas un mot et le couple part au Mexique avec les enfants. Mais le sujet fait surface au Mexique. Ils en discutent, et il est désormais clair qu'ils vont se séparer.

Ils rentrent le 24 janvier et, dès le lendemain, M. Turcotte trouve une maison meublée à louer à Piedmont. Il déménage le lendemain, le lundi 26 janvier. Il était entendu que, la première semaine, Mme Gaston garderait les enfants pour permettre à M. Turcotte de s'installer. Mais le premier soir, le lundi, dans sa nouvelle maison, il ne fait que pleurer. Le lendemain soir, Mme Gaston appelle M. Turcotte: le petit Olivier s'ennuie de son père et veut qu'il vienne le chercher. M. Turcotte promet d'aller le chercher le lendemain soir, ce qu'il fait. Il emmène aussi Anne-Sophie.

Le procès se poursuit aujourd'hui, avec la suite du témoignage de M. Turcotte.

Rappelons que M. Turcotte a poignardé à mort ses enfants le 20 ou le 21 février 2009, dans sa maison de Piedmont, avant de tenter de se suicider en avalant du lave-glace. Il admet avoir tué ses enfants. L'enjeu du procès est d'établir dans quel état d'esprit il était au moment où il l'a fait.

PHOTOREPRODUCTION La Presse

Guy Turcotte en compagnie de son fils Olivier.