Le procès du cardiologue Guy Turcotte est particulièrement éprouvant. Certains détails difficiles à supporter sont dévoilés jour après jour par notre journaliste. Nous préférons vous en avertir.* * *



Guy Turcotte se voit aiguiser un grand couteau. Il se rappelle avoir tenté de se le planter dans le coeur, mais ne pas en avoir eu la force. Il se voit vider des verres de lave-glace, se souvient du goût, de la sensation de trop-plein qu'il a éprouvée ensuite. Il se voit à genoux à côté de la baignoire, avec du sang sur les mains. Le sang de ses enfants.

Devant un auditoire pétrifié par l'horreur de son récit, Guy Turcotte a raconté en pleurant, hier matin, à son procès, comment s'était déroulée la soirée du 20 février 2009, quand il a poignardé ses deux enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans.

Guy Turcotte ne se souvient pas de tout, affirme-t-il, mais des images se sont imprimées par flashs dans sa mémoire. Le 20 février 2009 était un vendredi. Isabelle Gaston, de qui il était séparé depuis trois semaines, partait faire du ski au Massif avec des amies. M. Turcotte avait les enfants pour la fin de semaine. Il a passé la matinée à l'hôpital de Saint-Jérôme, où il travaillait comme cardiologue, puis il est allé chercher Anne-Sophie à la garderie, et Olivier à l'école. Ils se sont arrêtés au club vidéo en fin d'après-midi pour louer des films. Les enfants voulaient des bonbons et des chips. Il en a acheté, mais n'a pas voulu qu'ils en mangent avant le souper. Ils se sont rendus à la maison qu'il louait depuis sa séparation, le 26 janvier.

Guy Turcotte a fait cuire des spaghettis pendant que les enfants commençaient à regarder leur film. Ils ont soupé ensemble tous les trois, puis, pendant qu'il débarrassait la table, les enfants sont retournés à leur film, Caillou. Il est allé s'asseoir avec eux sur le canapé. «Je suis découragé, complètement vidé. Je commence à pleurer. Olivier vient me voir, il me prend dans ses bras, me dit qu'il m'aime. Anne-Sophie fait la même chose. Elle me fait un câlin», a raconté M. Turcotte.

Courriels

Dès la fin du film, il couche les enfants parce qu'il veut qu'ils soient en forme le lendemain. Il les met en pyjama, leur fait brosser leurs dents. Il chante une chanson à Olivier dans sa chambre et fait la même chose avec Anne-Sophie dans la sienne. Il retourne en bas avec l'idée de regarder le film qu'il a loué pour lui, mais il craint que le son n'empêche ses enfants de dormir. Il n'est pas encore 19 h. Il a la mauvaise idée d'ouvrir son portable et d'aller sur Yahoo!. Il lit les courriels que Patricia Giroux, conjointe de Martin Huot, lui a envoyés. Il s'agit de courriels qu'Isabelle Gaston, de qui M. Turcotte vient de se séparer, a échangés dans les dernières semaines avec Martin Huot.

«Ils s'aiment, c'est évident qu'ils s'aiment, a dit en pleurant M. Turcotte, hier. Moi et Isabelle, on ne s'est jamais aimés de même. L'amour de même, j'ai jamais connu ça. Ça me fait mal, je n'ai jamais ressenti de douleur comme ça. Ça fait tellement mal que je ne suis plus capable d'endurer. C'est comme si ma vie était finie.»

M. Turcotte se met alors à faire des recherches sur les moyens de se suicider. Il lit sur le méthanol, sur l'éthanol glycol - de l'antigel -, qui est un meilleur moyen, selon lui. Il pense que le Canadian Tire est fermé et qu'il ne peut s'en procurer. Il descend au sous-sol, il y a beaucoup de produits sur une étagère. On suppose qu'il a trouvé du lave-glace, mais il n'en a pas parlé, hier.

Il se voit au pied de l'escalier, avec un couteau qu'il tient à deux mains pour se le planter dans le coeur. Mais il se souvient qu'Isabelle lui a déjà raconté avoir vu un homme poignardé aux urgences, et que celui-ci avait survécu. De toute façon, il n'en a pas la force.

M. Turcotte a avalé du lave-glace et croit qu'il est en train de mourir. Il ne veut pas que ses enfants le trouvent mort, il décide de les emmener avec lui. Il se voit debout dans la chambre d'Olivier, avec le couteau dans les mains. «Je rentre le couteau. Olivier me fait nooooon, il bouge, je réalise que je suis en train de lui faire mal, je panique, je lui donne encore des coups. Après, je ne sais pas. Je suis debout dans la chambre d'Anne-Sophie. Elle dort, il arrive la même chose.»

Il se voit à genoux à côté de la baignoire. Il se voit vomir dans la chambre. Il se voit chercher le couteau pour se le planter dans le coeur, parce qu'il a fait mal à ses enfants, mais il ne trouve pas le couteau. Il sait qu'il a parlé à sa mère dans la soirée, se souvient qu'il lui a dit «je t'aime». Il pensait que ça avait duré quelques minutes, alors que leur conversation a duré presque une heure, soit de 20h45, environ, à 21h40.

Pas d'ordre chronologique

M. Turcotte dit ne pas se souvenir de l'ordre chronologique des événements. Il s'est réveillé le lendemain, quand il a entendu des cris dans la maison. Il faisait jour. Les policiers venaient d'arriver. «Oh non, je ne suis pas mort», a-t-il constaté. Il s'est jeté à terre et s'est glissé sous son lit, «comme un niaiseux», a-t-il dit. Il ne se souvient pas de son transport en ambulance ni de son séjour à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, où il a été pris en charge par ses collègues. Il se souvient seulement du visage de la Dre Marie-Pierre Chartrand, penchée sur lui. Selon ses souvenirs, il s'est réveillé «branché de partout», à l'hôpital du Sacré-Coeur. On sait pourtant que M. Turcotte a parlé abondamment pendant son séjour à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, qui a duré de midi à 19 h, environ. C'est après qu'il a été transféré à Sacré-Coeur.

M. Turcotte affirme ne pas comprendre ce qui s'est passé ce soir-là. «Cette soirée-là s'est passée dans la détresse. Je n'accepte pas ce qui est arrivé. Je ne comprends pas pourquoi c'est arrivé. Je sais que c'est arrivé de mes mains. Je suis scandalisé. Un père ne peut pas faire ça à ses enfants. Je vis avec ces images-là, ça me terrorise. Ce que le pathologiste a raconté (les coups, la clavicule coupée...), je suis incapable de concevoir comment c'est arrivé. Juste de savoir toute la peine et la douleur que j'ai causée, je suis incapable d'accepter ça.»

Isabelle Gaston pleurait en silence pendant le témoignage, mais elle a éclaté en sanglots, aussitôt sortie de la salle d'audience.

------

Coup de théâtre

En fin de matinée, ce jeudi, au procès de Guy Turcotte, le juré No 5a été libéré pour cause de partialité. Le juge Marc David a pris cette décision après avoir reçu une note des 11 autres jurés qui affirmaient que leur collègue avait indiqué plus d'une fois que son idée était faite et ce, même si le procès n'était pas terminé.

On peut dire maintenant que, en effet, le langage corporel de ce juré avait de quoi susciter la curiosité puisqu'il ne regardait jamais Guy Turcotte pendant son témoignage - il gardait les yeux rivés droit devant lui. Il a même ri, mercredi, à une réponse de M. Turcotte.

Cet incident de parcours n'empêchera pas le procès de continuer. Il se poursuivra vendredi matin, avec les 11 autres jurés. La loi permet qu'un procès se poursuive même avec seulement 10 jurés, mais pas moins.