Ils se sont rencontrés en 1999 alors qu'ils étudiaient à la faculté de médecine de l'Université Laval, à Québec. Lui, solitaire, méticuleux, organisé et régulier comme les battements du coeur, deviendra cardiologue. Elle, sociable, pétillante, ouverte d'esprit, débrouillarde et à l'aise dans l'imprévu, deviendra urgentologue.

Deux destinées... prédestinées: celles de Guy Turcotte et d'Isabelle Gaston. Ne dit-on pas que les contraires s'attirent? Leur histoire promettait d'être une belle histoire: la jeunesse, l'amour, deux beaux enfants en santé, la réussite sociale et professionnelle qui, de surcroît, les mettait à l'abri des soucis financiers qui minent tant de couples.

Mais la belle histoire s'est transformée en drame le 20 février 2009, dans la maison que Guy Turcotte louait depuis sa séparation. Le bon père, le bon docteur, a tué ses enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans, dans un scénario digne d'un maître du film d'horreur.

Se revoir

C'est le 5 mai dernier, entre les murs jaunes de la salle d'audience RC.01 du palais de justice de Saint-Jérôme, que Guy Turcotte et Isabelle Gaston se sont revus pour la première fois depuis ce fatidique 20 février 2009. «Revus» est un bien grand mot dans le cas de Guy Turcotte, qui a pratiquement gardé les yeux au sol pendant les 10 semaines qu'a duré ce procès.

Grand, mince, il arrivait invariablement vêtu d'une large veste noire ou d'un veston kaki trop ample pour lui. Jamais il n'a jeté un regard dans la salle d'audience où, d'un côté, se trouvaient Isabelle Gaston et les membres de sa famille, et de l'autre, sa famille à lui. Les seules personnes qu'il a regardées - et encore, seulement à l'occasion -, ce sont le juge Marc David, quand il parlait, ou ses avocats, Pierre ou Guy Poupart, lorsqu'ils s'adressaient à lui.

Pendant toute la durée du procès. Guy Turcotte a abondamment pleuré dans le box des accusés. Des pleurs silencieux, douloureux, qu'il essuyait avec les mouchoirs tirés de la boîte placée exprès sur son banc. À l'autre bout de la salle, on avait judicieusement placé une autre boîte devant Isabelle Gaston et ses proches. Aux moments les plus insupportables de la preuve, on a vu des journalistes y puiser.

Il y avait évidemment exclusion des témoins pendant la présentation de la preuve. Mme Gaston n'a donc été autorisée à entrer dans la salle d'audience qu'à partir de son propre témoignage, le 5 mai. Tremblante, le souffle court au début, elle a revisité ses souvenirs, les bons comme les mauvais, pour raconter son histoire. Elle s'est souvenue de sa réaction quand elle a appris la mort de ses enfants. L'envie irrépressible de les retrouver pour les bercer.

Elle a témoigné d'un trait malgré la douleur terrible. «Non, monsieur le juge, je veux continuer, je vais me ressaisir. Je veux en finir», a-t-elle imploré, refusant la pause que lui a offerte le juge, à un certain moment, pour calmer ses pleurs. Elle a témoigné sans haine pour celui qui lui a enlevé ce qu'elle avait de plus précieux. «Je ne dirai jamais qu'il était un mauvais papa», s'est-elle écriée en regardant vers Guy Turcotte. «Lui, c'était un cardiologue, il était contrôlant, la routine était importante. Il ne voyageait pas de nuit. Mais c'est grâce à lui que les enfants mangeaient plus de légumes», a-t-elle dit.

Pourtant, Mme Gaston ne croit absolument pas que la maladie mentale ait dicté les gestes de son ex-conjoint. Elle pense plutôt qu'il a agi par frustration, par vengeance. Sa mère, Rachel, et son frère, Patrick, sont du même avis. En fait, toute la famille d'Isabelle Gaston pense la même chose. Le Guy Turcotte qu'ils ont connu n'était pas cet être faible et mal dans sa peau que l'on a dépeint au procès, selon eux.

Deux personnes,deux familles

Lors du procès, il a été question d'une fête qui avait réuni les familles d'Isabelle Gaston et de Guy Turcotte. La famille Gaston, sociable et expansive, avait occupé tout l'espace tandis que la famille Turcotte, beaucoup plus réservée, s'ennuyait dans son coin. Pendant ces deux mois et demi de procès, on a remarqué la même dynamique. La famille Gaston avait les émotions à fleur de peau tandis que la famille Turcotte, extrêmement versée dans la religion, était tout en retenue. Pourtant, à n'en pas douter, la peine afflige autant une famille que l'autre. Les parents de Guy Turcotte, surtout Marguerite Fournier, ancienne enseignante dans une école de rang en Gaspésie, prenait des notes sans relâche pendant le procès, comme si elle y trouvait une forme d'exutoire.

Le 20 février 2009, Guy Turcotte a détruit ce qu'Isabelle et lui avaient bâti, il a anéanti leur plus précieuse réussite. Leur divorce, difficile et coûteux apparemment, a été officialisé en avril dernier, au moment où le procès criminel commençait. Il revient maintenant au jury de décider du sort de Guy Turcotte. Les sept femmes et quatre hommes délibèrent depuis jeudi midi. Hier, ils n'ont posé aucune question.