Coupable de meurtres prémédités. Comme un couperet, ce verdict s'est abattu à trois reprises, dimanche après-midi à Kingston, scellant le sort de Mohammad Shafia, 59 ans, de son épouse, Tooba Yahya, 42 ans, et de leur fils Hamed, 21 ans.

Les verdicts sont tombés vers 14h03, après trois mois de procès, et une quinzaine d'heures de délibérations du jury. Dans la salle d'audience bondée, la tension a baissé d'un petit cran. Impassible pendant tout le procès, Hamed s'est effondré dans le box des accusés. Son père s'est mis à lui flatter le dos pour le réconforter. Lui a-t-il murmuré les mêmes paroles que celles qu'il lui avait tenues le 21 juillet 2009, veille de leur arrestation, alors que la police resserrait son étau?

«Même si on me hisse sur la potence, rien n'est plus cher que mon honneur. Rien n'est plus grand que notre honneur. Fais un homme de toi, ne sois pas une femme. Ta mère est un homme.»

Les trois accusés écopent automatiquement la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

Dimanche, tout de suite après le verdict, la défense a voulu savoir si chacun des jurés était d'accord avec la décision rendue. À tour de rôle, ils se sont levés et ont répondu «oui.» L'un d'eux, un homme, a déclaré: «Je suis d'accord avec le verdict» en dardant les accusés d'un regard de feu. Une jeune jurée a pleuré.

Le juge Robert Maranger a demandé aux accusés s'ils avaient quelque chose à dire.

«Nous ne sommes pas des criminels, nous ne sommes pas des meurtriers, c'est injuste», a lancé Mohammad Shafia, en farsi.

«Ce n'est pas juste. Je ne suis pas une meurtrière, je suis une mère, une mère», a dit Tooba Yayha, son épouse, elle aussi en farsi.

«Je n'ai pas noyé mes soeurs nulle part», a affirmé Hamed, en anglais.

Les victimes, Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, et Rona, 53 ans, ont été trouvées noyées dans une Nissan Sentra au fond de l'écluse de Kingston Mills, le matin du 30 juin 2009.

Crimes déshonorants

Prenant brièvement la parole, le juge Rober Maranger a indiqué que leur condamnation était appuyée par la preuve. «Il est difficile de concevoir des crimes plus haineux, plus dépravés et déshonorants que les meurtres, dans le cas de Mohammad Shafia, de ses filles et de sa femme, dans le cas de Tooba, de ses filles et de sa co-femme, et dans le cas d'Hamed, de ses soeurs et de sa mère», a dit le magistrat. Rona, on le sait, a aidé à élever les sept enfants que Mohammad a eus avec Tooba.

Le juge a signalé que «la raison manifeste de ces meurtres honteux, exécutés de sang-froid, est que les quatre victimes tout à fait innocentes ont offensé votre conception tordue de l'honneur. Une notion fondée sur la domination et le contrôle des femmes, une notion malade de l'honneur qui n'a absolument pas sa place dans aucune société civilisée.»

Le procureur de la Couronne, Gerard Laarhuis, s'est adressé aux médias à l'extérieur du palais de justice, après le verdict. «C'est un bon jour pour la démocratie, qui protège les droits de tout le monde. C'est un jour très triste, car le jury a trouvé que quatre femmes fortes, enjouées, éprises de liberté ont été tuées par leur propre famille.»

«C'est un mensonge», a crié quelqu'un dans la foule. C'est une injustice.» Il s'agissait de Moosa Hadi, cet étudiant de l'Université Queens qui s'était improvisé enquêteur, en 2009, et qui avait conclu un pacte secret et rémunéré avec Mohammad Shafia pour trouver la «vérité». M. Hadi a continué de crier à l'injustice, pendant que Me Laarhuis poursuivait son allocution. La foule s'est mise à huer Moosa Hadi. Des policiers sont intervenus et l'ont emmené plus loin.

Une trentaine de minutes après le verdict, les Shafia sont sortis pour la dernière fois du palais de justice, pour monter dans le fourgon cellulaire qui allait les ramener en prison pour longtemps. Une foule compacte s'agglutinait autour des barrières de sécurité, pour les voir partir.

«Wrong, wrong», a laissé tomber Mohammad Shafia, avant de s'engouffrer dans le fourgon.

Rappelons que la famille de 10 membres revenait d'un voyage d'agrément à Niagara au moment des crimes. La Couronne a toujours pensé que les victimes étaient mortes ou inconscientes quand la voiture a été poussée dans l'eau par la Nissan. Cet aspect n'a jamais pu être éclairci.

Me Patrick McCann, qui représentait Hamed, a indiqué qu'il y aurait sûrement appel. Me Peter Kemp, avocat de Mohammad, en fera de même et pense que son client a été condamné pour ce qu'il a dit, et non ce qu'il a fait. Il faisait alors allusion aux propos extrêmement durs et compromettants qui ont été enregistrés par les mouchards installés par la police, une vingtaine de jours après le drame. Il traitait ses filles de putes, et estimait qu'elles avaient eu ce qu'elles méritaient.