Bon an, mal an, un demi-million de Québécois se rendent en République dominicaine. Parmi ces touristes qui profitent de la plage et du soleil, certains sont à la recherche de plaisirs illicites. Leurs demandes pour des services sexuels ont transformé certains lieux touristiques en véritables bordels à ciel ouvert. Comme à Boca Chica, centre de villégiature situé tout près de la capitale, Santo Domingo. Enquête-choc sur ces touristes sexuels québécois.

«Chupa-chupa!» lance la jeune fille sur le trottoir de la rue Duarte. Elle semble ne pas avoir plus de 13 ans. Son visage enfantin et son corps à peine développé trahissent son très jeune âge. «Chupa-chupa!» répète-t-elle en jouant maladroitement à l'aguicheuse. Elle extirpe de sa poche un vieux téléphone cellulaire et inscrit 1000 pesos - environ 30 dollars américains - sur l'écran. Son tarif pour un massage et une fellation. Une chupa-chupa.

L'offre a été déclinée, mais des milliers de gringos, dont bon nombre de Québécois, acceptent chaque année les faveurs sexuelles des prostituées de Boca Chica, petite station balnéaire de la République dominicaine, à quelques kilomètres de la capitale Santo Domingo.

Pour des sommes dérisoires, des garçons et des filles, dont plusieurs sont mineurs, s'offrent aux touristes qui déferlent dans cet endroit reconnu comme un haut lieu du tourisme sexuel au pays.

Contrairement à Puerto Plata ou Punta Cana, où la prostitution est moins visible, Boca Chica ne cache rien. Les palmiers, le soleil et la plage masquent à peine un bordel à ciel ouvert, où les touristes d'âge mûr se pavanent au bras de jeunes filles. Et plusieurs d'entre eux sont québécois.

Sous un soleil de plomb, trois Québécois font la fête sur la plage en compagnie de jeunes femmes. L'une d'elles est en sous-vêtements. L'un des trois comparses hèle notre photographe qui arpente la plage, son appareil en bandoulière.

Loin de se douter d'avoir affaire à un représentant de La Presse, il insiste pour se faire immortaliser avec ses amis en compagnie de leurs jeunes escortes. Une bouteille de rhum presque vide sur la table, le trio, originaire de Québec, tourne et retourne les filles dans tous les sens pour exhiber leurs postérieurs comme des trophées. L'un d'eux se montre plus insistant et soulève la jupe d'une fille pour lui retirer son string avec sa langue.

Les trois hommes se vantent de leurs prouesses sexuelles. L'un d'entre eux, qui possède un appartement à Boca Chica depuis 15 ans, raconte sa soirée passée à jouer à la roulette du sexe avec ses amis.

La roulette du sexe? Hilare, il explique le jeu: trois filles assises, nues, sur une table qui tourne. Trois hommes, debout, ont des relations sexuelles avec celle qui s'immobilise devant eux. «On a ri en estie! raconte-t-il. Eux autres, c'est leur première fois ici, je les initie», dit-il en désignant ses deux amis.

Sur le ton de la confidence, l'un d'entre eux raconte que les filles des villages reculés sont encore plus «chaudes». «Dans les terres en haut, là c'est personnel... c'est la maman et...» marmonne-t-il.

La rue principale de Boca Chica s'étire sur environ 150 mètres, où se succèdent les bars, les restaurants et les étals de cartes postales. Dès qu'un touriste y pose le pied, les prostituées foncent sur lui. Dans ce buffet ouvert, le touriste peut assouvir ses moindres fantasmes. Des garçons de 8 ans. Des femmes de 30 ans. Mais surtout des adolescentes.

À l'aube de la haute saison, l'offre dépasse largement la demande. Les hommes sirotent leur verre, accompagnés d'une ou plusieurs prostituées. Des dizaines d'autres filles sont accoudées aux bars, assises sur des tabourets, tuent le temps en attendant les gringos.

Assis à une table, il y a Joël, 23 ans. Il dit travailler pour la policia de turismo, consacrée à la protection des touristes. Il arbore un petit badge sur son chandail. «Mon rôle est de m'assurer que les touristes ne manquent de rien», explique le jeune homme.

En vérité, Joël est un proxénète, un chulo, qui chasse les filles trop insistantes. Ces petits joueurs de la pègre locale proposent aux touristes d'aller dans les maisons de prostitution où, disent-ils, les filles sont plus jolies.

Au même moment, un policier baraqué circule entre les tables. Il échange un regard de connivence avec Joël.

Ici, le touriste est roi et maître. Il n'est jamais embêté.

Il y a une vingtaine de maisons de prostitution à Boca Chica. Des locaux exigus et miteux où s'entassent quelques canapés, un poteau d'effeuilleuses et un bar.

Dès qu'un touriste y arrive, une quinzaine de filles se lèvent et se trémoussent autour de lui.

Des gardiens sont postés à la porte, d'autres sur le trottoir.

Les filles cessent de se dandiner lorsque le client montre du doigt la ou les filles de son choix. Tarif: 50$US. Le prix inclut la chambre, les préservatifs.

Et la fille bien sûr.

Certains hôtels ferment également les yeux sur la prostitution. Pour environ 45$US, les touristes peuvent ramener des filles dans leur chambre. Les prostituées doivent au préalable présenter une pièce d'identité à la réception, pour obtenir un bracelet qui donne accès aux services.

Les étranges déjeuners en tête-à-tête entre des hommes d'âge mûr et de toutes jeunes femmes font donc partie du décor dans plusieurs hôtels.

Plusieurs filles, au contact des touristes, ont appris à «baragouiner» plusieurs langues. La concurrence, féroce, précipite toutefois les discussions.

«Tu veux une fellation?» offre Sandra, qui dit être dans la vingtaine, mais en paraît le double.

Sandra amène ses clients dans un logement situé en retrait de la rue animée. Cette mère de famille passe ses semaines à Boca Chica et retourne voir ses deux enfants les week-ends.

Elle ne manque pas de travail, surtout en haute saison.

Carmelle, haïtienne, travaille à Boca Chica depuis quelques années. «Je fais l'amour avec les touristes», explique-t-elle, candide. Depuis le séisme, la République dominicaine s'avère la terre promise pour un grand nombre d'Haïtiennes.

Elle tire de son portefeuille une photographie de son fils de 4 ans. Ce dernier habite avec sa tante dans la capitale. Elle a déjà travaillé comme serveuse, mais elle n'arrivait pas à joindre les deux bouts. «Je ne pouvais pas payer l'appartement, les factures.»

La prostitution est devenue sa planche de salut.