À l'hôpital pour enfants Robert Reid Cabral, 393 patients âgés de quelques mois à 18 ans sont condamnés à mort. Atteints de VIH à la naissance ou à la suite d'un viol, ce sont les orphelins de prostituées mortes du sida -des adolescentes pour la plupart- qui travaillaient en majorité dans des destinations touristiques comme Puerto Plata et Boca Chica.

Ces enfants incarnent durement les ravages causés par le sida en République dominicaine. En 2009, 57 000 personnes étaient atteintes du VIH, soit environ 0,9% de la population âgée de 15 à 49 ans. Ce pourcentage grimpe à 2% dans des zones touristiques, où la prostitution est omniprésente. Malgré une réduction importante du nombre de cas dans les dernières années, la République dominicaine est, après Haïti (120 000 personnes infectées en 2009), le pays des Caraïbes où le sida fait le plus de ravages. Après l'Afrique, les Caraïbes sont au deuxième rang des régions du monde les plus touchées par le VIH.

Depuis un quart de siècle, c'est une religieuse, soeur Carmen, qui s'occupe des orphelins du sida de Saint-Domingue. Le visage fripé, courbée, elle doit agripper le bras de la jeune Dre Christian-Anna Cabrera pour nous guider dans l'aile de l'hôpital où les enfants reçoivent leurs traitements.

D'une voix faible, soeur Carmen explique que l'hôpital a reçu le premier enfant atteint en 1985. Cinq ans plus tard, ils étaient neuf. Aujourd'hui, ils sont près de 400. «L'abandon de ces enfants m'a touchée. Ils viennent de milieux très démunis, où les gens craignent de contracter le VIH en les effleurant de la main ou en leur permettant de mettre leur bouteille d'eau dans le réfrigérateur. Ce sont les plus pauvres des pauvres», résume la religieuse.

Son visage s'illumine lorsqu'elle parle de ses petits patients. Ses enfants. «Plusieurs m'appellent maman. Ça me remplit de bonheur de leur permettre de goûter à l'amour maternel», avoue-t-elle.

Les orphelins n'habitent pas à l'hôpital mais doivent s'y présenter sur une base régulière pour recevoir leurs traitements. Ils sont pris en charge par des proches, des voisins. Parfois, leur gardien légal est un cousin âgé de 10 ans. Une trentaine d'enfants viennent d'abandonner leurs traitements. Pour eux, il n'y a plus rien à faire. «L'un d'eux m'a dit avoir rêvé récemment que sa mère était en train de construire une maison pour elle et lui au paradis», raconte soeur Carmen.

La discrimination et le rejet entraînent plusieurs de ses protégés dans la dépression. Pour les plus jeunes, c'est encore plus triste. «Ils ne comprennent pas mais savent que quelque chose cloche avec eux», observe la Dre Cabrera.

Soeur Carmen se bat chaque jour pour éveiller l'intérêt de ces laissés-pour-compte, pour les aider à trouver une raison de vivre.

Selon les deux femmes, il est fort probable que les mères des enfants aient été en contact avec des touristes dans des endroits comme Boca Chica. Mais comment le prouver?

Le tourisme sexuel est un maillon faible dans le dépistage du VIH, parce qu'il n'existe aucune façon de contrôler les étrangers, explique pour sa part le Dr José Ledesma, infectiologue spécialisé. Dans les endroits où le tourisme sexuel est endémique, le risque de contracter des maladies est élevé, estime le Dr Ledesma, qui connaît d'ailleurs fort bien la réputation de Boca Chica. «On fait faire des tests de dépistage de VIH aux travailleuses du sexe, mais on a du mal à leur remettre les résultats puisque les responsables des bordels les réclament. Ils veulent les avoir afin de vendre aux touristes l'image de filles en santé et clean.»