Ce n’est pas normal que les sociétés de transport collectif soient toujours en train de mendier pour faire rouler leurs activités.

Mais comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? On les a placées dans une situation impossible. Alors, ne vous demandez pas pourquoi il y a un trou de 2,5 milliards dans leur budget des cinq prochaines années.

En 2018, Québec a eu l’ambition d’augmenter l’offre de transport collectif de 5 % par année pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Fort bien.

Pour financer le tout, le gouvernement a ensuite lancé un chantier piloté par le ministère des Transports qui a rencontré plus de 240 partenaires, épluché 58 mémoires et accouché en 2021 d’un rapport contenant 14 pistes1.

Et depuis… rien.

Pour les sociétés de transport, l’équation est brisée.

Depuis une vingtaine d’années, les tarifs payés par les usagers couvraient environ le tiers des frais d’exploitation des sociétés de transport. Le provincial et le municipal payaient chacun un autre tiers de la facture, grosso modo.

Mais avec l’ajout de nouvelles infrastructures coûteuses, on ne peut plus demander aux utilisateurs de couvrir le tiers des frais d’exploitation. Les tarifs deviendraient prohibitifs.

Pour le REM de l’Ouest, par exemple, les tarifs résultant de l’achalandage excédentaire ne couvriront qu’environ 10 % des frais d’exploitation reliés au REM.

Alors, la facture déborde à Québec et dans les villes.

On aura le même enjeu avec la ligne bleue du métro de Montréal, le tramway à Québec, l’électrification des autobus…

Il s’agit d’un problème structurel qui existait bien avant que la COVID-19 fasse chuter l’achalandage et les revenus tarifaires, donnant encore plus de maux de tête aux sociétés de transport.

Après les avoir secourues durant la pandémie, Québec ne veut plus financer que 20 % du déficit des prochaines années. Serrez-vous la ceinture, vient de suggérer la ministre des Transports Geneviève Guilbault aux sociétés de transport.

Bien sûr, on est tous pour l’optimisation. Mais il y a des limites à sabrer dans les dépenses sans réduire la fréquence du service, ce qui ferait fondre l’achalandage encore plus.

Évitons ce cercle vicieux. Pour financer la transition verte, pesons plutôt sur l’accélérateur de l’écofiscalité, qui reste sous-utilisée au Québec, puisqu’elle représente 1,6 % du PIB, contre 2 % pour l’OCDE2.

Comment s’y prendre ?

Le minimum serait d’indexer les mesures existantes.

Par exemple, Québec a instauré en 1992 une contribution de 30 $ payable au renouvellement de l’immatriculation, dans les régions où il y a du transport collectif. Cette contribution, qui a rapporté 90 millions en 2021-2022, permettrait de récolter 150 millions, si elle avait été indexée.

Et puis, la taxe provinciale de 19 cents sur le carburant n’a pas non plus été indexée depuis 2013. Si elle avait suivi l’inflation, Québec récolterait 273 millions de plus par année. Après 10 ans d’inertie, il est le temps de rattraper le terrain perdu.

Une taxe sur l’essence de 3 cents est aussi perçue dans la région de Montréal pour financer le transport collectif régional. En la portant à 5 cents, on pourrait encaisser 57 millions de plus. D’autres régions pourraient d’ailleurs se prévaloir de cette possibilité.

Cela dit, la taxe sur le carburant est appelée à décroître avec l’essor des véhicules électriques. À moyen terme, il faudrait donc songer à la remplacer par une taxe kilométrique, comme La Presse l’a déjà plaidé3.

Quoi d’autre ? On pourrait réfléchir à une taxe sur les grands stationnements non résidentiels, une approche doublement avantageuse.

D’abord, cela permettrait de récolter des sommes pour financer le transport collectif en taxant des espaces qui favorisent les déplacements automobiles. Par exemple, une taxe de 50 cents par jour ouvrable, sur quelque trois millions d’espaces de stationnement commerciaux et institutionnels, rapporterait des revenus annuels de 375 millions au Québec. Cette taxe favoriserait du même coup un meilleur usage des terrains, permettant une densification urbaine favorable aux déplacements actifs.

Faites le compte : on est rendu à presque 800 millions par année ! C’est plus qu’il n’en faut pour boucher le déficit des sociétés de transport collectif.

Mais ne rêvons pas en couleurs. En entrevue avec La Presse, au début de septembre, le ministre des Finances Eric Girard nous a répondu qu’il n’aimait aucune des mesures écofiscales qui se présentent à lui.

On comprend que la Coalition avenir Québec (CAQ) ne veut pas déplaire aux automobilistes qui n’ont guère envie de payer plus cher, surtout ceux qui vivent dans les régions où il y a peu de transport collectif.

Mais cet argent leur reviendrait aussi, car il permettrait de renflouer le déficit chronique du Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT), qui finance à la fois les transports en commun et le réseau routier4.

Soyons clairs, le statu quo est intenable. On ne peut pas continuer de rouler dans le rouge, tant pour l’entretien des routes qui tombent en ruine que pour le fonctionnement des transports collectifs qui sont essentiels à la lutte contre les changements climatiques qui nous affectent tous.

1. Consultez le rapport du ministère des Transports 2. Consultez l’Inventaire des mesures écofiscales au Québec 3. Lisez l’éditorial « Remplacer la taxe sur l’essence, pas l’abolir » 4. Consultez le rapport de l’Alliance TRANSIT

La position de La Presse

Le statu quo est intenable. Pour régler le problème de financement structurel des transports collectifs, il faut emprunter la voie de l’écofiscalité.