Attention aux chantiers : congestion en vue. Avec autant de grands projets d’infrastructure dans le collimateur, Québec se magasine de sérieux problèmes de dépassement de coûts et de ralentissement de travaux. Et ce sont les contribuables qui en feront les frais.

Avec la transition énergétique, les projets fusent de partout.

Tandis qu’Hydro-Québec veut investir jusqu’à 18 milliards pour doubler sa puissance, ce qui mobiliserait 35 000 travailleurs, la filière batterie poursuit sur sa lancée et Québec veut développer les transports collectifs structurants.

Très bien. Mais un barrage hydroélectrique, ça ne se commande pas sur Amazon. Et un REM ou un tramway, ça ne s’achète pas chez IKEA.

Il faut des bras et des cerveaux pour développer tout ça. Or, il manque très précisément 12 245 travailleurs dans l’industrie de la construction au Québec (4 % du total).

L’industrie a de la broue dans le toupet, car Québec a augmenté de 70 % depuis 2015 son budget en infrastructures, qui est désormais doté d’une gigantesque enveloppe de 150 milliards sur 10 ans.

Ce déséquilibre entre l’offre et la demande a provoqué une forte croissance des coûts de construction en 2021 et 2022, qui excède nettement l’inflation générale au Québec, constate l’Institut du Québec1.

L’hôpital Maisonneuve-Rosemont, le tramway de Québec… partout les coûts explosent.

Québec va devoir faire des choix.

Il faut aller à l’essentiel. Le logement, qui est la clé de bien des enjeux sociaux, arrive en tête de liste. Cette semaine, Québec et Ottawa ont débloqué 1,8 milliard pour bâtir 8000 logements abordables et sociaux. Bravo ! Mais la classe moyenne dans tout ça ? D’après la Société canadienne d’hypothèques et de logement, il faudrait au moins tripler le nombre de mises en chantier et construire 1,2 million de logements d’ici 2030 au Québec. Un défi titanesque.

Il faut aussi donner préséance à la réparation des infrastructures existantes.

Les besoins sont immenses. Il faudrait 35 milliards pour remettre en état les infrastructures du Québec – routes, hôpitaux, écoles – qui tombent en ruine. Ce n’est pas plus rose dans les municipalités, qui auraient besoin de 38 milliards juste pour mettre à niveau les infrastructures liées à l’eau.

Ce déficit d’entretien qui ne cesse d’augmenter est comme une dette que l’on pellette vers les générations futures. Ce n’est pas équitable. Plus on attend, plus ça fait mal… un peu comme une carie négligée qui se termine en traitement de canal.

Parlez-en au ministère des Transports, dont la mauvaise gestion vient d’être dénoncée par l’Autorité des marchés publics2. En négligeant l’inspection des ponts vieillissants, le Ministère se retrouve à accorder des contrats de gré à gré, en payant le gros prix, pour réaliser des travaux d’urgence.

Ne vous demandez pas pourquoi la réfection du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine a vu sa facture bondir de 1 milliard à 2,5 milliards.

En parallèle, Québec doit moderniser l’industrie de la construction, dont la productivité est à la traîne. Ici, le ministre du Travail, Jean Boulet, est déjà à l’œuvre.

Soyons clairs : la rigidité de la réglementation dans la construction limite le développement du Québec.

Au Québec, on compte 26 corps de métier, contre seulement sept en Ontario. Pour faire le même travail, il faut souvent trois ou quatre personnes, au lieu d’une seule chez nos voisins. En réduisant les chasses gardées qui causent des délais et font grimper les coûts, on pourrait récupérer 10 % des heures travaillées, selon une analyse de la firme AppEco3.

Faisons-le !

Tant qu’à y être, on devrait aussi déréglementer la rénovation de petits logements locatifs. En ce moment, les entrepreneurs peuvent employer des ouvriers ne détenant pas de cartes pour des rénovations chez un propriétaire occupant… mais pas chez un locataire, même s’il s’agit de deux logements identiques. C’est illogique. En changeant les règles, on libérerait de précieux travailleurs pour des chantiers où les cartes sont vraiment essentielles.

Quoi d’autre ?

Mieux intégrer les femmes et les immigrants qui sont largement sous-représentés dans la construction, comme La Presse l’a déjà plaidé4.

Mettre la pédale à fond sur la formation pour remplacer les 21 % de travailleurs qui quitteront la construction d’ici 10 ans, selon l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec.

Les formations accélérées et rémunérées, lancées à la fin d’octobre, sont un pas dans la bonne direction. Mais encore faudra-t-il trouver les professeurs.

Toutefois, ces formations courtes restent une solution un peu… courte.

On a aussi besoin de travailleurs avec une formation complète. Or, les inscriptions ne cessent de diminuer. Et les étudiants sont souvent recrutés, avant la fin, par des entrepreneurs en manque de main-d’œuvre. Pour favoriser la persévérance scolaire, pourquoi ne pas développer des formations de type « dual » misant sur la collaboration école-employeur ?

Au bout du compte, c’est l’addition de toutes sortes d’initiatives qui fera la différence. Mais il faut une vision d’ensemble. C’est à Québec de jouer le rôle de contremaître et de s’assurer qu’on ne se tire pas dans le pied en voulant tout faire en même temps, sans en avoir les moyens.

La position de La Presse

Prioriser les grands projets d’infrastructure de l’État. Moderniser l’industrie de la construction. Voilà les pistes à suivre pour éviter que la facture des nombreux chantiers du Québec grimpe au plafond.

1. Consultez le rapport de novembre 2023 sur les finances publiques de l’Institut du Québec 2. Consultez le rapport Examen de la gestion contractuelle du ministère des Transports et de la Mobilité durable 3. Consultez le rapport Productivité dans le secteur de la construction et impact d’accroître la polyvalence des métiers 4. Lisez l’éditorial « Crise du logement : les immigrants font partie de la solution »