Imaginez un joueur à qui on refuse de donner la médaille d’or, même s’il a gagné la course en suivant toutes les règles du jeu.

Imaginez un athlète que l’arbitre met hors jeu, sans raison valable, permettant à son rival de remporter la course par défaut.

Dans les gradins, la foule crierait à l’injustice, n’est-ce pas ?

De la même manière, il faut dénoncer haut et fort deux récentes décisions du gouvernement fédéral – l’une sur le monument aux vétérans de l’Afghanistan, l’autre sur le remplacement d’avions militaires – qui portent préjudice au Québec.

Dans le cas du monument commémoratif national de la mission du Canada en Afghanistan, Ottawa a refusé d’accorder le contrat à une firme du Québec qui avait pourtant remporté le concours de design à l’issue d’un processus rigoureux lancé en 2019 par le fédéral.

Le projet de l’équipe Daoust (composée de la firme Daoust Lestage Lizotte Stecker, Luca Fortin et Louise Arbour) avait été sélectionné par un jury composé d’experts du milieu des arts, de l’architecture, de l’histoire et de la diplomatie, ainsi que de représentants des vétérans d’Afghanistan et des familles des militaires.

Son concept était constitué de murs en résille de pierres qui, vus de près, rappelaient le motif d’une burqa entrouvert par l’axe de la démocratie et, vus de loin, faisaient ressortir le profil des montagnes afghanes où les Canadiens ont joué un rôle de premier plan.

Mais étrangement, Ottawa a écarté du podium ce projet gagnant, comme l’a révélé La Presse⁠1. Le contrat de 3 millions de dollars a été accordé à une autre entreprise, sous prétexte que son projet était plus populaire auprès des vétérans.

Bref, Ottawa a déchiré les règles du jeu après la fin du match, règles qu’il avait lui-même écrites, il faut le préciser.

Tout cela fait brouillon, à l’image du retrait désorganisé des troupes américaines et de l’OTAN qui ont quitté l’Afghanistan en 2021 en laissant derrière les interprètes, diplomates, chauffeurs et gardiens de sécurité qui leur avaient prêté main-forte sur le terrain pendant deux décennies.

Parlons maintenant d’avions militaires. Une affaire de 9 milliards de dollars.

Ici, pas d’appel d’offres du tout. Ottawa veut confier un contrat de gré à gré à l’entreprise américaine Boeing pour le renouvellement de nos appareils de patrouille maritime, les CP-140 Aurora.

Les militaires ont fait leur lit : ils veulent l’appareil de Boeing, le seul présentement offert répondant à leurs besoins. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas y en avoir d’autres. Et justement, Bombardier est prête à relever le défi en adaptant son jet privé Global 6500.

Un tel contrat permettrait à une entreprise de chez nous de développer un nouvel appareil militaire qui pourrait ensuite être vendu dans le monde. Cela donnerait de l’ouvrage à 40 fournisseurs de l’écosystème aéronautique québécois.

On ne peut pas lever le nez sur de telles retombées, chez nous, mais aussi en Ontario où est assemblé le Global 6500. C’est pour cela que les premiers ministres François Legault et Doug Ford ont fait une sortie commune, au début de novembre, pour demander à Ottawa de considérer Bombardier.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Global 6500 en stade de finition, à Dorval

Mais mystérieusement, Ottawa fait la sourde oreille.

Le fédéral a déjà entrepris les démarches en vue d’acheter 16 appareils P-8 Poseidon à Boeing. Pourquoi tant d’empressement ? Pourquoi escamoter l’appel d’offres ?

Si c’était urgent, on pourrait comprendre. Mais au contraire, Ottawa est obligé de devancer son calendrier qui ne prévoyait pas le remplacement des appareils avant 2032-2033 pour satisfaire Boeing. En effet, l’entreprise a « informé » Ottawa qu’elle cesserait de produire le Poseidon si elle ne recevait pas de nouvelles commandes.

Le Canada n’a pas à céder devant cette tactique de vente à pression digne d’un magasin de meubles. Il doit prendre le temps d’évaluer la solution de Bombardier qui comporte des avantages.

Le Global 6500 est plus moderne, plus rapide et permet des vols plus longs, ce qui n’est pas à dédaigner pour couvrir un pays aussi étendu que le Canada.

Et Bombardier peut compter sur son partenaire General Dynamics Mission Systems – Canada pour doter l’appareil de l’équipement électronique nécessaire ainsi que de lance-torpilles.

Soyons clairs : Bombardier a ses preuves à faire. Mais on ne demande pas au gouvernement de favoriser la solution au détriment de la concurrence. On voudrait seulement que l’entreprise ait sa chance.

Oui, cela signifie qu’il faudra faire un processus d’appel d’offres. Mais le temps qu’on prend pour bien faire les choses n’est pas du temps perdu.

On ne peut pas rayer de la compétition un concurrent sérieux, pas plus qu’on peut empêcher celui qui a remporté la course d’obtenir la médaille d’or.

Ce n’est pas fair-play.

1. Lisez la chronique « Monument commémoratif de la mission du Canada en Afghanistan : quand le gouvernement Trudeau écarte les gagnants du podium »

La position de La Presse

On ne demande pas à Ottawa de favoriser les entreprises du Québec, juste de leur donner des chances égales de faire leurs preuves et de leur accorder le contrat quand elles sont les meilleures.