Il est arrivé tout sourire dans les bureaux de La Presse. À voir l’enthousiasme du premier ministre du Canada en entrevue éditoriale, les sondages désastreux glissent sur lui comme de l’eau sur le dos d’un canard. Continuer ? « Aucun doute pour moi », répond Justin Trudeau.

Il est vrai qu’il a toujours eu du succès dans le rôle de l’athlète sous-estimé qui finit par surprendre tout le monde. Rappelez-vous comment il avait semé l’émoi, au début de sa carrière politique, en remportant un combat de boxe contre le sénateur Patrick Brazeau.

Dans l’arène politique, il a aussi fait mentir ceux qui prédisaient sa défaite, en mettant au tapis Stephen Harper en 2015, Andrew Sheer en 2019 et Erin O’Toole en 2021. Les scandales – SNC-Lavalin, WE Charity – n’ont pas eu raison de lui. Pas plus que les mauvais sondages.

Mais aujourd’hui, c’est autre chose. Pierre Poilievre, un adversaire coriace, mène de façon écrasante. Les conservateurs sont en avance dans toutes les provinces, sauf au Québec où le Bloc québécois les freine.

Et l’usure du pouvoir est un ennemi redoutable. Après huit ans de règne libéral, les Canadiens ne manquent pas de récriminations : l’inflation, la crise du logement, les services publics embourbés dans la bureaucratie…

Comme le remaniement ministériel de l’été dernier n’a pas réussi à insuffler une nouvelle énergie au gouvernement, la population est perplexe. Les libéraux ont-ils encore des idées fraîches ? Quelle est leur vision pour l’avenir ?

En fait, la réponse de Justin Trudeau n’a pas changé depuis son élection de 2015.

« On s’était fait élire avec un mandat pour lutter contre les changements climatiques, pour l’égalité des femmes, la protection des minorités, l’inclusion, la réconciliation avec les Autochtones et surtout pour créer de la croissance pour la classe moyenne », énumère-t-il.

À ceux qui ont soif de changement, il répond qu’on est déjà confrontés aux changements malgré nous, que ce soit à cause du recul de la démocratie dans le monde, des conflits géopolitiques ou encore des changements climatiques.

À ceux qui pensent que le Canada est protégé de la montée du populisme, il réplique : « Roe c. Wade, ce n’était pas censé arriver aux États-Unis », ce qui n’a pas empêché le recul historique sur l’avortement.

On est dans un moment de choix fondamental, existentiel même. Est-ce qu’on continue d’avancer, même si c’est difficile, ou est-ce qu’on recule ?

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau

Mais à vouloir poursuivre dans la même direction, le message de Justin Trudeau sonne comme le slogan peu inventif de la dernière campagne de la Coalition avenir Québec (CAQ) : continuons.

Et il ne faut pas oublier que les libéraux n’ont pas une note parfaite.

Sur la scène internationale, le Canada s’est mis à dos de grandes puissances comme la Chine et l’Inde, alors que Justin Trudeau avait clamé haut et fort que le Canada était « de retour » lorsqu’il avait pris le pouvoir. On est loin du compte. Même nos plus grands alliés font des alliances stratégiques sans inviter le Canada.

Il faut dire qu’Ottawa consacre seulement 1,3 % de son PIB aux dépenses militaires, ce qui est bien loin de la cible de 2 % fixée par l’OTAN. L’été dernier, Justin Trudeau s’est finalement engagé à atteindre la cible. Mais quand ?

Le premier ministre fait dévier la question. Il rappelle que les dépenses militaires avaient chuté en dessous de 1 % du PIB sous Stephen Harper et qu’il les a relevées de 70 % depuis qu’il a pris les commandes. Mais il refuse de dire quand la cible de 2 % sera atteinte.

La vérité est que cet engagement coûtera des milliards. Et les finances publiques sont déjà étirées, après des années de déficits. Ici non plus, Justin Trudeau n’a pas de cible.

Le retour à l’équilibre budgétaire n’est pas dans ses priorités, même si les intérêts sur la dette pèsent de plus en plus lourd dans le budget.

Justin Trudeau répète que le Canada demeure le pays qui a le plus faible niveau d’endettement de tous les pays du G7. Que son plan est « responsable fiscalement ». Qu’il ne regrette en rien d’avoir fait des investissements pour aider les Canadiens, à commencer par la mise en place d’un réseau national de garderies, sur le modèle du Québec.

« C’est sûr que c’est très cher », convient Justin Trudeau. Mais ça vaut la peine pour ramener les femmes au travail, donner une meilleure occasion aux jeunes de réussir et réduire les coûts pour les familles, énumère-t-il.

Pas de doute, les garderies feront partie de ses legs les plus marquants. Au même titre que la taxe carbone qu’il a défendue jusqu’en Cour suprême. Or, il vient de miner son propre héritage pour de raisons purement électoralistes. En exemptant le chauffage au mazout, pour aller chercher des votes en Atlantique, il a mis le ver dans la pomme.

Continuer ? Encore faut-il que ça permette d’avancer et non le contraire.

La position de La Presse

En misant sur la continuité, après huit ans de pouvoir, Justin Trudeau risque de déplaire aux Canadiens excédés par le coût de la vie et les piètres services publics.