Fermez les yeux et imaginez un instant que la classe d’une école publique du Québec est un cours de ski alpin.

Dans son groupe, le professeur a des enfants incapables de faire du chasse-neige autant que des petits champions qui veulent faire des bosses. Il a aussi un enfant sur le spectre de l’autisme, un autre ayant un handicap physique, un jeune avec un trouble de comportement grave, un autre qui vient d’arriver au Québec et ne parle pas la langue…

Avec un groupe aussi hétéroclite, les dérapages sont assurés. Personne n’y trouvera son compte, ce qui poussera le professeur découragé à accrocher son manteau.

Revenons maintenant au réseau scolaire, où le nombre d’élèves en difficulté a explosé de 103 000 en 2000 à 258 000 aujourd’hui.

Parallèlement, le Québec a vidé les classes spécialisées pour intégrer les jeunes en difficulté dans les classes ordinaires, poursuivant un objectif louable d’équité et d’intégration sociale. Or, les ressources spécialisées (psychologues, orthopédagogues, orthophonistes) n’ont pas suivi. Et les professeurs se retrouvent avec une charge impossible.

Comment voulez-vous qu’une enseignante s’en sorte avec 20 élèves qui ont des plans d’intervention spécialisés dans une classe de 34 jeunes de 4secondaire ? Malgré tous ses efforts, toute sa passion, une quinzaine sont en échec au premier bulletin.

Posons-nous la question : est-ce qu’on rend service à nos enfants en les mettant tous ensemble dans le même bateau ? Les enfants qui vont bien restent sur leur faim. Ceux qui en arrachent n’obtiennent pas le soutien voulu.

À preuve, seulement 29 % des parents d’élèves possédant un code de difficulté se disent satisfaits des mesures mises en place pour soutenir leur enfant, selon un sondage de la Fédération des comités de parents du Québec.

Et l’inclusion à tout prix, ça tue à petit feu les enseignants qui ne sont pas formés pour s’occuper d’autant de cas différents. Certains ont l’impression d’être comme à l’hôpital, en pleine pandémie, et d’avoir à choisir à qui donner le respirateur.

L’intégration des élèves en difficulté, c’est l’éléphant dans la classe. C’est le véritable enjeu qui mine le système d’éducation. Et c’est aussi le nœud des négociations actuelles avec les enseignants.

Il est temps de revoir notre politique d’adaptation scolaire. Mais comment ?

Réduire les ratios enseignants-élèves en tenant mieux compte des élèves en difficulté ?

Prévoir davantage d’aide spécialisée pour épauler les professeurs ?

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, il serait plus réaliste de créer davantage de classes spécialisées pour les jeunes en difficulté, afin d’éviter d’éparpiller les rares ressources à travers le réseau.

En fait, on pourrait favoriser l’inclusion dans l’école, mais la spécialisation dans la classe. Ainsi, tous les élèves auraient accès aux mêmes activités parascolaires, sportives, culturelles. Mais ils seraient regroupés en petites classes pour certains cours, et d’autres non, selon une approche modulaire.

Ce modèle favoriserait la mixité, tout en optimisant l’apprentissage en fonction des besoins de chacun.

Centraliser l’aide est la meilleure façon d’alléger la tâche des professeurs, tout en offrant aux jeunes l’aide nécessaire.

Les écoles privées doivent aussi faire partie de la solution. Mais il est trop facile de leur mettre tous les torts sur le dos, en les accusant d’écrémer le réseau public des meilleurs élèves. En réalité, les écoles publiques ne s’en tirent pas mieux dans les régions où il n’y a pas d’écoles privées.

Reste que les écoles privées doivent en faire davantage pour intégrer les jeunes en difficulté. Actuellement, les élèves handicapés et en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) représentent 17 % de leurs effectifs, par rapport à 24 % du côté public.

Si on veut que les écoles privées offrent des services adéquats, encore faut-il que Québec leur accorde du financement spécifique pour les élèves EHDAA, ce qui n’est pas le cas en ce moment.

Déjà, les mentalités changent. Près de 90 % des élèves qui entrent au privé y font tout leur secondaire, contre seulement 70 % au début des années 2000, estime la Fédération des établissements d’enseignement privés.

Tant mieux, car il est inacceptable que les écoles privées larguent en cours de route les jeunes qui ont des problèmes de comportement ou qui peinent à suivre le programme. Au lieu de prendre leurs responsabilités, elles pellettent le problème vers le public qui doit accepter tous les élèves.

Elles ont accepté ces jeunes, qu’elles les accompagnent jusqu’au bout !

L’important, c’est que les jeunes en difficulté aient véritablement des services où qu’ils soient. De grâce, évitons d’ajouter de nouveaux codes qui déterminent le financement des élèves en difficulté, une enveloppe de 3,4 milliards par année, ce qui peut mener à des surdiagnostics.

Tous ces diagnostics monopolisent les experts qui font tellement défaut et coûtent des milliers de dollars aux parents qui doivent très souvent recourir au privé, ce qui crée un système à deux vitesses malsain.

D’abord et avant tout, les jeunes ont besoin d’aide, pas d’une étiquette.

La position de La Presse

L’intégration des élèves en difficulté, c’est l’éléphant dans la classe. Il est temps de revoir notre politique d’adaptation scolaire, en misant davantage sur les classes spécialisées.