Inde, Royaume-Uni, Mexique, Afrique du Sud… L’an prochain, plus de quatre milliards de citoyens seront appelés aux urnes, ce qui fait de 2024 la plus grande année électorale de l’histoire.

Mais attendez avant de lever votre verre à la santé de la démocratie. Malgré ces airs de grande cuvée, 2024 pourrait avoir un goût de vinaigre.

D’abord, les élections sont loin d’être un gage de démocratie. En Russie, y a-t-il vraiment quelqu’un qui doute que Vladimir Poutine sera réélu pour un cinquième mandat ? Et en Corée du Nord, qui oserait croire que le taux d’approbation de Kim Jong-un ne frôlera pas 100 % ?

En fait, sur 76 pays qui tiendront des élections l’an prochain, plus du tiers ne répondent pas aux critères d’un véritable scrutin libre, selon l’indice élaboré par The Economist1.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Même dans les pays où les élections ne sont pas une mascarade, ce n’est pas gagné d’avance pour la démocratie, en recul dans le monde pour la sixième année de suite, selon la mesure de l’institut suédois IDEA2.

Dans bien des pays démocratiques, des dirigeants de plus en plus autoritaires érodent les piliers de la démocratie en prétendant s’exprimer au nom du peuple. On a vu cette dangereuse tendance en Hongrie, en Pologne, en Turquie et en Israël, par exemple.

Or, cette tendance risque de se poursuivre, dans un contexte où la planète se relève douloureusement de la pandémie qui a fait exploser la dette publique, bondir l’inflation et grimper les taux d’intérêt. Aujourd’hui, les gouvernements se retrouvent coincés par des paiements d’intérêt record, au moment où l’économie tourne à vide.

La Banque mondiale vient de tirer la sonnette d’alarme : les pays plus pauvres sont au bord du précipice, étouffés par les paiements d’intérêts qui les empêchent de financer leurs services essentiels3.

La communauté internationale devra se mobiliser pour réduire leur dette. Autrement, les dictatures en profiteront. Déjà, la Russie et la Chine ne cessent d’investir pour accroître leur influence, notamment en Afrique, où les coups d’État se multiplient alors que la population est désillusionnée à l’égard de la démocratie.

Mais voilà, les puissances occidentales sont aussi sous pression. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la dette publique des économies avancées a bondi de 81 % du PIB en 2000 à 113 % du PIB en 2022.

Le poids des intérêts réduira leur marge de manœuvre pour financer les généreux programmes sociaux, ce qui risque de créer des tensions sociales. Souvenez-vous des protestations monstres contre les ajustements aux régimes de retraite, en France.

C’est sur ce terreau fertile au populisme que se tiendront les élections au Parlement européen, qui auront l’allure d’un référendum sur la survie de l’Union européenne, si l’on se fie à la victoire récente aux Pays-Bas du leader d’extrême droite Geert Wilders, europhobe, xénophobe et climatosceptique affirmé.

Mais évidemment, c’est l’élection présidentielle aux États-Unis qui aura l’impact planétaire le plus grand, car la réélection de Donald Trump changerait la donne pour le soutien à l’Ukraine, pour la lutte contre les changements climatiques, pour la crise migratoire, pour le commerce international… et pour la démocratie.

Qu’un président ait mené ses partisans à attaquer le Capitole pour annuler le résultat des élections était déjà terrifiant. Que celui-ci puisse être réélu l’est encore plus.

Si on le déclare non éligible ou s’il perd l’élection, la réaction de ses partisans pourrait ébranler le pays. Et s’il gagne, un Trump 2.0 risque de démolir avec encore plus d’ardeur les contrepouvoirs, car il sera beaucoup mieux préparé à prendre les commandes que la première fois.

Peu importe le résultat, 2024 sera une année critique pour la démocratie. Et il serait naïf de croire que le Canada et le Québec seront à l’abri.

L’ouvrage L’État du Québec – Quel avenir pour la démocratie ? nous apprend qu’un tiers des Québécois sont perplexes quant aux vertus de notre système démocratique (18 %) ou carrément adeptes d’une théorie du complot (15 %).

Les distorsions de notre système électoral expliquent en bonne partie la frustration des électeurs qui trouvent que le résultat du vote n’est pas représentatif de leur choix. Comment les blâmer quand la Coalition avenir Québec (CAQ) dispose d’une écrasante majorité des sièges (72 %), malgré l’appui d’une minorité d’électeurs (41 %) ?

Ce n’est pas sain. Une réforme du mode de scrutin s’impose, même si François Legault et Justin Trudeau ont renié leur promesse à cet égard.

Une réforme de la Loi électorale est aussi nécessaire. Faudrait-il développer le vote à distance pour relever le taux de participation qui a fondu ? Comment peut-on encadrer la publicité préélectorale, en plein essor, qui échappe à tout contrôle ? Espérons que les consultations d’Élections Québec permettront de trouver des solutions porteuses4.

Si on veut réduire le cynisme de la population, il faut dépoussiérer la vie parlementaire. En ce moment, la période des questions à l’Assemblée nationale ressemble à une cour de récréation où les députés se crêpent le chignon au lieu de chercher des solutions aux problèmes des citoyens. Peu édifiant.

Enfin, il faut absolument s’assurer que les autocraties étrangères ne viendront plus interférer avec nos élections. Or, les recommandations finales de la Commission sur l’ingérence étrangère mise sur pied à contrecœur par Ottawa ne seront connues qu’à la fin de 2024.

En théorie, il n’y aura pas d’élections avant 2025 à Ottawa et 2026 à Québec. Mais le temps va presser pour restaurer la confiance des électeurs avant les prochains scrutins.

D’ici là, toute l’équipe de La Presse vous souhaite une excellente année 2024 !

La position de La Presse

Réforme du mode de scrutin, de la Loi électorale, des règles parlementaires. Mesures pour contrer l’ingérence étrangère. Ottawa et Québec ont fort à faire pour restaurer la confiance envers notre système démocratique avant les prochaines élections.

1. Lisez le texte de The Economist (en anglais ; abonnement requis) 2. Consultez le rapport de l’institut IDEA (en anglais) 3. Consultez le rapport de la Banque mondiale (en anglais) 4. Lisez sur les consultations d’Élections Québec