Avouez que c’est un tantinet ironique.

D’un côté, François Legault réclame dans une lettre ouverte l’intervention d’Ottawa à propos des demandeurs d’asile qui pousseraient le Québec au « point de rupture ».

De l’autre, le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, décide de serrer la vis aux étudiants étrangers… une mesure qui n’aura pas d’effet au Québec, qui s’est déjà attaqué à cet enjeu. Et il choisit de faire son annonce… à Montréal.

Merci quand même. Et la question des réfugiés, elle ? « Un tour de vis » s’impose, admet Marc Miller. Mais pour l’instant, rien de concret.

Pourtant, l’enjeu est de taille. Depuis le début de 2023, le Québec a accueilli près la moitié des demandeurs d’asile arrivés au Canada. Au prorata de la population, c’est presque trois fois plus que les autres provinces.

Cela pèse sur notre capacité d’accueil, même si ce serait une erreur de mettre sur le dos des réfugiés tous les problèmes du Québec. La déroute de notre système de santé et la crise du logement ont des racines bien plus profondes.

On pensait que la fermeture du chemin Roxham réduirait et rééquilibrerait le flux de réfugiés. Mais voilà que les réfugiés débarquent en grand nombre à l’aéroport, souvent des Mexicains qui arrivent à Montréal-Trudeau.

Cet afflux découle d’un changement adopté par Justin Trudeau en 2016, peu après son arrivée au pouvoir. Balayant les avertissements des fonctionnaires, le premier ministre a retiré aux Mexicains l’obligation de détenir un visa pour entrer au Canada que Stephen Harper avait imposé en 2009 pour freiner l’escalade des demandes d’asile.

Justin Trudeau était soucieux de remplir une promesse électorale et de rompre avec l’héritage des conservateurs. Ce geste de compassion était une façon de prouver que le Canada était « de retour » sur la scène internationale.

Il faut dire que l’image choquante du petit Aylan Kurdi, un migrant syrien de 3 ans retrouvé mort noyé sur la plage d’une station balnéaire en Turquie, avait créé une commotion planétaire et marqué un point charnière dans la campagne électorale canadienne.

Avant de lever l’obligation de visa, les libéraux avaient promis d’ajuster le tir, si jamais les demandes d’asile du Mexique dépassaient 3500 par année. Sauf que les mesures tardent à suivre, même si on a dépassé cette frontière depuis longtemps.

Depuis 2015, les demandes d’asile en provenance du Mexique ont littéralement explosé, particulièrement depuis la fin de la pandémie. Pour les 11 premiers mois de 2023, le Canada a reçu 22 365 demandes. C’est 100 fois plus que lorsque le visa était exigé.

Le Mexique figure désormais tout en haut de la liste des pays d’où proviennent le plus grand nombre de demandes d’asile au Canada.

On ne nie pas les persécutions que vivent certains Mexicains dans leur pays, notamment en raison de la violence des cartels de la drogue. Et bien sûr, le Canada a des obligations envers les personnes qui lui demandent l’asile, en vertu des conventions internationales.

Sauf que dans la plupart des cas, les Mexicains ne sont pas considérés comme des réfugiés par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada lorsqu’elle se penche sur leur dossier, souvent après de longs mois ou années.

Les statistiques sont frappantes. Depuis cinq ans, seulement de 26 % à 42 % des demandes d’asile présentées par des Mexicains ont été accueillies, selon les années. C’est beaucoup moins que pour les demandes en provenance des autres pays, qui ont oscillé entre 59 % et 72 % par année, depuis cinq ans.

Bref, la plupart des demandes des Mexicains ne sont pas légitimes. Après des années d’attente, une vaste majorité d’entre eux sont donc obligés de rentrer dans leur pays. Un parcours coûteux pour tout le monde qui se termine en queue de poisson.

Le pire, c’est que des réseaux contrôlés par le crime organisé se mettent en place pour faire passer aux États-Unis des ressortissants mexicains arrivés par le Québec. Des trafiquants de passeport au Mexique fabriquent des documents qui permettent même à des criminels d’autres pays d’entrer au Canada, comme l’a démontré le reportage de l’émission Enquête.

Malgré cette situation fort inquiétante, Ottawa tarde à agir.

Il est vrai que l’exigence d’un visa peut ralentir le tourisme. Vrai aussi que le Mexique est un important partenaire commercial, avec l’Accord Canada–États-Unis–Mexique. Il peut sembler curieux que les marchandises circulent librement entre les pays des trois « amigos », mais pas les individus.

Il n’en reste pas moins que la situation actuelle est injustifiable. Ottawa doit resserrer notre frontière invisible avec le Mexique, en considérant tous les impacts. Rehausser les exigences pour les Mexicains causera certainement un goulot d’étranglement à l’ambassade, ce qui pourrait causer des ennuis aux Mexicains qui ont besoin d’un permis de travail temporaire, par exemple.

Pensons-y comme il faut.

La position de La Presse

S’il veut aider le Québec qui reçoit une part disproportionnée des réfugiés au Canada, Ottawa doit resserrer les règles pour contrer l’explosion des demandes d’asile en provenance du Mexique qui sont majoritairement non fondées.