« Votre mission, à supposer que vous l’acceptiez, consiste à équilibrer le budget du Québec d’ici cinq ans, en ramenant les dépenses à leur niveau prépandémique, tout en assurant des services adéquats en santé et en éducation. Cette bande s’autodétruira dans cinq secondes. Bonne chance. »

On imagine facilement Eric Girard dans un scénario de Mission impossible, à voir les défis que le ministre des Finances s’est lancés en vue du budget qu’il déposera d’ici quelques semaines.

C’est comme s’il voulait faire entrer un triangle dans un cercle.

Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, la Coalition avenir Québec (CAQ) fait face à des choix budgétaires très difficiles. Des choix qui feront d’autant plus mal que la CAQ n’a pas préparé la population aux temps durs, bien au contraire.

L’an dernier encore, alors que ses revenus étaient gonflés par l’inflation, la CAQ a offert une généreuse baisse d’impôts permanente. Il était pourtant clair que l’inflation reviendrait comme un boomerang, lorsque les employés de l’État réclameraient des augmentations de salaire, faisant grimper les dépenses du gouvernement.

Le ministre des Finances n’aura pas le choix d’adapter son scénario, déjà très serré.

Dans sa dernière mise à jour économique, présentée en novembre dernier, il tablait sur une croissance des dépenses de portefeuille de seulement 1,6 % l’an prochain, un niveau inférieur à l’inflation.

Un effort de rigueur est bienvenu, car la CAQ a été tellement dépensière depuis cinq ans que le niveau de dépenses par habitant n’a jamais été aussi élevé au Québec depuis 30 ans, si on exclut l’année de la pandémie, constate l’Association des économistes québécois (ASDEQ)1.

Mais pour limiter la croissance à 1,6 % l’an prochain, sans nuire à la santé et à l’éducation, la CAQ a l’intention de réduire de 2,4 % toutes les autres dépenses. Imaginez le défi : la liste d’attente ne cesse de s’allonger pour les garderies ; la justice débordée remet en liberté des gens accusés de crimes graves ; les routes et les écoles tombent en ruine…

Or, les choix seront encore plus douloureux que prévu en novembre dernier. D’abord parce que l’économie tournera plus lentement, si on se fie aux récentes prévisions de Desjardins et de la Banque Nationale.

Et ensuite parce que les ententes pour le renouvellement des conventions collectives coûteront, à terme, 2,9 milliards de plus par année que prévu, selon la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke2.

La CAQ voudra-t-elle se serrer la ceinture encore plus ? Il y aura de la rigueur, mais « pas d’austérité », jurait il y a quelques jours le premier ministre François Legault. On aurait cru qu’il jouait dans le même film que son prédécesseur Philippe Couillard !

Pour se donner de l’air, Eric Girard a plutôt averti que les « déficits vont être plus importants », ouvrant la porte à un report du retour à l’équilibre budgétaire prévu pour 2027-2028, après sept années dans le rouge.

Mais en agissant ainsi, la CAQ transgresserait les lois sur l’assainissement de nos finances publiques qui ont été modernisées en décembre dernier. Cela entacherait la crédibilité du Québec sur les marchés financiers, ce qui pourrait finir par nous coûter plus cher en intérêts.

Et fondamentalement, si on reporte davantage le retour à l’équilibre budgétaire, on se retrouve à pelleter nos problèmes sur le dos des générations futures, alors que l’équité intergénérationnelle est déjà mise à mal.

N’oublions pas que les baisses d’impôt accordées l’an dernier, à crédit, ont été financées en réduisant les versements au Fonds des générations, reportant ainsi de cinq ans l’objectif de réduire la dette nette à 30 % du PIB (soit en 2037 plutôt qu’en 2032).

N’oublions pas non plus que nos infrastructures souffrent d’un manque d’entretien chronique. Les remettre à niveau coûterait 35 milliards de dollars, un montant qui a doublé en six ans. C’est un autre fardeau qu’on laisse aux jeunes qui auront aussi à composer avec les coûts des changements climatiques et du vieillissement de la population.

Au nom des jeunes qui en ont bavé à cause de la pandémie, il faut garder le cap sur le retour à l’équilibre budgétaire. Non, ce ne sera pas facile. Mais soyons transparents et misons sur la productivité.

Côté transparence, Québec pourrait s’engager à fournir périodiquement un rapport sur l’équité intergénérationnelle, comme en Australie3. Ce serait un mandat taillé sur mesure pour un futur directeur parlementaire du budget qui veillerait à la soutenabilité budgétaire de la province à long terme. François Legault en parlait il y a 10 ans sur les banquettes de l’opposition. Go !

Côté productivité, il serait temps de faire le ménage dans notre fiscalité. Pourquoi ne pas revoir les coûteux programmes d’aide aux entreprises conçus à l’époque où l’on voulait créer des emplois ? Aujourd’hui, on manque de travailleurs, pas d’emplois ! L’argent pourrait être redéployé pour mieux favoriser l’innovation. Ultimement, cela permettrait d’augmenter nos revenus… et de mieux faire face aux défis de nos finances publiques.

Mais tout cela prendra du temps. D’ici là, il faudra du courage politique à la CAQ pour accomplir sa mission. Bonne chance.

1. Consultez l’avis du Comité des politiques publiques de l’ASDEQ 2. Consultez un mémoire présenté au ministère des Finances 3. Consultez le rapport de Force Jeunesse