Le truc quand on marche avec un café trop plein dans nos mains, c’est de regarder au loin plutôt que de fixer le liquide bouillant qui menace de nous brûler les doigts.

Regarder au loin. Marcher droit, malgré les obstacles. C’est cette vision assumée et inspirante qu’on attend d’un bon leader, qu’il soit chef d’entreprise ou chef d’État. Et c’est ce qui fait trop souvent défaut à la Coalition avenir Québec (CAQ) depuis le début de son nouveau mandat.

Bousculé par les nouvelles, le premier ministre François Legault enchaîne les décisions intempestives et les reculs incohérents, alimentant sa chute dans les sondages.

Un faux pas n’attend pas l’autre.

François Legault accuse l’opposition de lui lancer de la boue, par pure partisanerie. Mais le gouvernement s’enlise lui-même dans la vase avec le financement politique.

Jeudi, un couple qui a perdu sa fille dans un accident de la route a fait une révélation très choquante. On a exigé qu’il paie 200 $ pour parler quelques minutes à la ministre des Transports Geneviève Guilbault de son combat pleinement justifié1 pour réduire le taux d’alcool au volant à 0,05.

Plus les cas s’additionnent, plus on a le mauvais sentiment que la CAQ avait un modus operandi visant à monnayer l’accès aux ministres, ce qui est interdit.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, mercredi

La CAQ a bien tenté de mettre le couvercle sur la marmite, la semaine dernière, en décidant d’arrêter complètement de recevoir des dons privés, tout en demandant aux autres partis de l’imiter.

Voyons donc ! Abolir le financement privé en politique ne peut pas se faire en claquant des doigts, sans autre forme de débat. Et de toute façon, il s’agit d’une fausse bonne idée qui risquerait notamment de freiner l’émergence de nouvelles formations politiques puisque tout le financement viendrait alors du public… qui verse l’argent en fonction du nombre de votes aux dernières élections2.

Si la CAQ voulait donner l’impression de laver plus blanc que blanc, elle a plutôt l’air de vouloir étouffer les critiques et la concurrence.

Décision précipitée. Opération ratée.

Parlons maintenant de publicité politique : la CAQ vient d’opérer un demi-tour en recommençant à s’annoncer sur Facebook et Instagram.

Ah bon ? L’été dernier, la CAQ avait pourtant varlopé Québec solidaire et le Parti libéral du Québec qui n’avaient pas embarqué dans le mouvement de boycottage afin de protester contre la décision de Meta de bloquer les nouvelles canadiennes de ses plateformes.

Difficile de justifier le douteux demi-tour de la CAQ. Dans les médias, la série noire se poursuit. BCE a annoncé jeudi de nouvelles compressions qui s’ajoutent à celles de TVA, des Coops de l’information, de Metro Média…

Au-delà des licenciements, si tristes soient-ils, c’est notre culture et notre démocratie qui sont en jeu. C’est l’information, essentielle aux régions, qui est écrasée par les géants étrangers, qui accaparent les revenus publicitaires sans contribuer à notre société.

À quand le plan promis par le ministre de la Culture et des Communications Mathieu Lacombe ? Silence radio. On a pourtant besoin d’une vision claire et réfléchie de la part de Québec.

Mais ces temps-ci, on dirait plutôt que la CAQ joue dans la ligue d’impro.

C’est à croire que la CAQ a été tellement sonnée par sa défaite lors de l’élection complémentaire de Jean-Talon, en octobre dernier, qu’elle a perdu le nord.

Lors de la création de la CAQ, François Legault envoyait l’image d’un homme d’affaires, indépendant de fortune, capable de prendre des décisions difficiles pour le bien commun et l’avenir du Québec, sans chercher à s’accrocher au pouvoir.

Mais aujourd’hui, il fait dans le clientélisme politique, comme le démontrent ses surprenants coups de tête (le 3e lien reste le plus bel exemple) et ses décisions malavisées (pensez à la hausse des droits de scolarité des étudiants anglophones, critiquée autant par les universités francophones que par le comité consultatif de la ministre de l’Enseignement supérieur).

En cherchant à plaire à certains, la CAQ finit par déplaire à un grand nombre.

On le voit dans le sondage Léger/Le Journal de Montréal diffusé cette semaine. Le Parti québécois confirme son avance (32 % des appuis), loin devant la CAQ (25 %).

Or, ce transfert du vote nationaliste n’est pas dû à un regain d’appui à la souveraineté, qui stagne à 35 %, mais à la personnalité du chef Paul St-Pierre Plamondon.

En prenant les rênes du PQ, au pire moment de son histoire, PSPP a promis de mettre l’accent sur l’indépendance du Québec, malgré la tiédeur de la population face à l’option souverainiste. Il est resté fidèle à ses convictions durant la campagne électorale.

Plus le PQ se rapprochera du pouvoir, plus il sera aux prises avec son éternel dilemme : parler de la séparation du Québec, quitte à perdre des votes, ou parler des sujets qui préoccupent davantage la population, quitte à décevoir ses partisans.

Mais pour l’instant, la cohérence de PSPP permet au PQ de se démarquer de la CAQ, qui donne trop souvent dans l’improvisation.

En politique, ça ne fait rire personne.

1. Lisez l’éditorial « Dans le champ avec notre 0,08 » 2. Lisez l’éditorial « Le financement politique, en a-t-on vraiment besoin ? »