La tête, le cœur, la vision et le courage. À lui seul, Brian Mulroney combinait les atouts qui font la marque d’un grand chef d’État.

Au-delà de ses réalisations majeures qui ont forgé le Canada d’aujourd’hui, le style de leadership de celui qui a été premier ministre de 1984 à 1993 mérite aussi de passer à l’histoire. Ces qualités humaines peuvent servir d’inspiration pour affronter les défis actuels de notre société, à commencer par l’élargissement des clivages politiques.

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René Lévesque et Brian Mulroney

Brian Mulroney, lui, était un bâtisseur de ponts qui avait convaincu René Lévesque de prendre « le beau risque » de réconcilier le Québec et le Canada (ce qui mènera à l’accord du lac Meech) et qui avait pris l’initiative de négocier l’accord de libre-échange avec les États-Unis.

L’ancien chef conservateur n’hésitait pas à traverser les tranchées politiques pour aider le parti adverse, comme il l’a fait en prêtant main-forte au gouvernement libéral de Justin Trudeau, pris de court par l’élection de Donald Trump qui menaçait de détruire l’accord de libre-échange.

Négociateur hors pair, Brian Mulroney maîtrisait l’art de trouver des terrains d’entente. Son secret : s’intéresser sincèrement aux gens, à leur vie, à leurs proches. Ces petites attentions le menaient loin. « Small talk leads to big talk », disent les anglos.

Ce style humain et rassembleur de Brian Mulroney tranche avec le monde actuel, de plus en plus divisé. Les guerres culturelles, à propos des « wokes », de l’immigration ou de l’environnement, minent la cohésion sociale et la démocratie. On nourrit non seulement une antipathie de plus en plus profonde pour le parti adverse, mais aussi pour ses partisans, jugés malhonnêtes, immoraux, étroits d’esprit1, 2.

Mais comment s’entendre quand la confiance a disparu, quand le dialogue est rompu ?

S’il était maître dans l’art de trouver des compromis, Brian Mulroney ne manquait pas de courage pour aller au bout de ses convictions politiques.

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Ronald Reagan et Brian Mulroney à la Citadelle de Québec, lors de la visite du président américain, en mars 1985

Au départ, on l’accusait de vouloir « vendre » le pays aux Américains avec son projet de libre-échange. Son propre parti était historiquement contre. L’entourage du président américain Ronald Reagan y était férocement opposé. Mais le pouvoir de persuasion de Brian Mulroney a fait des miracles.

Encore plus casse-cou était la création de la TPS, une taxe de vente de 7 % qui saute aux yeux des consommateurs. Rien pour aider la cote de popularité d’un politicien. Mais tout pour aider la cote de crédit du Canada dont les finances publiques avaient besoin d’un sérieux coup de barre. Brian Mulroney a choisi le pays.

Dans les prochaines années, les politiciens feront de nouveau face à des choix difficiles. La COVID-19 a alourdi les dettes des gouvernements, à un moment où les changements climatiques et démographiques nécessitent des investissements importants.

Les politiciens sauront-ils prendre des décisions impopulaires, mais nécessaires ?

Brian Mulroney était aussi un visionnaire. C’était un bleu au cœur vert. Un conservateur qui avait placé l’environnement en haut de sa liste de priorités… il y a de cela 40 ans.

Ses efforts ont permis de combattre les pluies acides qui tuaient nos lacs, de protéger la couche d’ozone et de faire débloquer le Sommet de la terre à Rio, en 1992, afin de lutter contre les changements climatiques.

Maintenant que le courant populiste cherche à freiner la transition verte, il est important de se souvenir qu’un conservateur, soucieux des intérêts économiques, peut aussi être à l’avant-garde sur le plan environnemental, au nom du bien commun.

On retiendra aussi du passage de Brian Mulroney en politique que le Canada peut jouer un rôle sur la scène internationale. Un rôle de leader, pas un rôle de mouton, comme en ce moment avec les conflits en Ukraine et à Gaza où le Canada se contente d’emboîter le pas à ses partenaires.

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Brian Mulroney (au centre), avec le président de la France François Mitterand (à gauche) et le premier ministre du Québec Robert Bourassa (à droite), lors du premier Sommet de la Francophonie, en 1986, à Paris

Dans la lutte contre l’apartheid, Brian Mulroney ne s’est pas gêné pour s’opposer férocement au régime de ségrégation raciale de l’Afrique du Sud, quitte à froisser ses alliés Ronald Reagan et Margaret Thatcher qui ne voulaient rien savoir de sanctions.

Dès le lendemain de sa libération, après 27 ans de prison, le militant antiapartheid Nelson Mandela a téléphoné à Brian Mulroney pour lui demander s’il pouvait prononcer à Ottawa son premier discours dans un parlement étranger.

À l’autre bout du fil, le premier ministre du Canada lui a répondu : « Monsieur Mandela, voulez-vous venir demain ou après-demain ? », relate le journaliste Guy Gendron dans un excellent ouvrage sur la vie de Brian Mulroney3.

Mandela est effectivement venu en 1990 remercier le Canada pour le rôle de premier plan qu’il avait joué à l’ONU, au Commonwealth, à la Francophonie et au G7 dans le démantèlement de l’apartheid. Il a pris soin de mettre l’accent sur la réconciliation si chère à Brian Mulroney… qui a néanmoins vu l’accord du lac Meech se dérober sous ses pieds.

Sans doute le plus grand deuil de sa vie politique. Aujourd’hui, c’est le Canada qui est en deuil d’un grand politicien. Au nom de La Presse, nos plus sincères condoléances à la famille Mulroney et à ses proches.

1. Consultez un rapport sur la frustration partisane 2. Consultez un rapport sur l’antipathie partisane

3. Brian Mulroney : l’homme des beaux risques, Guy Gendron, Québec Amérique, 2014.