Alors que la cloche sonne le retour en classe pour des milliers d’élèves, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, dit qu’il n’a pas l’intention de baliser l’utilisation du téléphone cellulaire dans les écoles, comme cela s’est fait en Ontario et en France. Ce qui n’empêche pas certaines écoles secondaires d’imposer des règles claires à leurs élèves.

« On est comme les irréductibles Gaulois. »

Oubliez Jules César et les Romains : l’envahisseur auquel fait référence le directeur de l’école secondaire Grande-Rivière, c’est le téléphone cellulaire.

Des élèves qui « se rentrent dedans » dans les corridors faute de regarder droit devant eux, cette école de Gatineau n’en voulait plus.

PHOTO MARTIN ROY, LE DROIT

Serge Guitard, directeur de l’école secondaire Grande-Rivière

On veut que les élèves discutent, et non qu’ils aient toujours les yeux sur leur cellulaire. On le sait qu’en dehors de l’école, ils sont longtemps sur leur appareil électronique. On pense qu’une pause dans la journée leur fait du bien.

Serge Guitard, directeur de l’école secondaire Grande-Rivière

Depuis maintenant cinq ans, il est inscrit aux règlements de l’école que l’utilisation des appareils électroniques personnels doit se faire en dehors des murs de l’établissement, ou dans des locaux dédiés le midi. Les jeunes peuvent avoir un téléphone sur eux, mais ils ne doivent pas l’utiliser.

« Ça a un bon côté, ça les amène à sortir prendre l’air », dit en riant le directeur.

Interdire les téléphones cellulaires en classe à la grandeur de la province n’est toutefois pas une avenue que souhaite emprunter le ministre de l’Éducation.

En entrevue avec La Presse, Jean-François Roberge reconnaît que si les cellulaires peuvent être « des outils utiles », ils sont aussi, parfois, une « distraction ».

« Ça appartient aux équipes-écoles et aux enseignants de décider de quelle manière ils sont capables de baliser l’utilisation du cellulaire, de le réglementer, de l’utiliser correctement », dit M. Roberge.

Depuis 2018, en France, le téléphone cellulaire est interdit dans les écoles et les collèges, dans les classes et à l’extérieur (notamment pendant les récréations). C’est inscrit dans la loi : le téléphone d’un élève peut être confisqué.

« Un élève ne peut donc pas utiliser son téléphone en remplacement de sa calculatrice ou pour connaître l’heure », lit-on sur le site du gouvernement français. Seules exceptions : l’usage est permis à des fins pédagogiques ou pour les élèves handicapés.

L’Ontario a aussi interdit les téléphones au primaire et au secondaire, en 2019. La province est toutefois un peu moins restrictive : les élèves peuvent utiliser leur téléphone pendant les pauses.

Effet bénéfique sur la vie sociale

À Sorel-Tracy, l’école secondaire Fernand-Lefebvre a aussi interdit à ses 1200 élèves l’utilisation du cellulaire entre ses murs. On s’est inspiré de certaines écoles privées, qui ont adopté une politique semblable.

« On le sait qu’ils ont le téléphone sur eux, mais s’ils veulent l’utiliser, c’est dans de rares exceptions : un enjeu de sécurité, quelqu’un de la famille qui est malade », illustre Laurence Cournoyer, porte-parole du centre de services scolaire de Sorel-Tracy.

Comme à Gatineau, les jeunes doivent sortir de l’école pour texter, même en hiver. « Si des élèves filment d’autres élèves, ou des membres du personnel, on va intervenir, même dehors », poursuit Mme Cournoyer.

L’effet de ce règlement instauré il y a quelques années a été clair, dit la porte-parole : les élèves socialisent davantage entre eux et l’intimidation a diminué sur les réseaux sociaux, bien qu’il demeure impossible de contrôler ce que les jeunes font une fois sortis de l’école.

Les parents sont loin de s’opposer à cette façon de faire. Les élèves, eux, « ne sont pas contents », mais respectent le règlement, comme tout autre.

Même son de cloche à Gatineau. « Est-ce que les élèves sont tous d’accord avec ça ? Non. Est-ce qu’ils comprennent les raisons pour lesquelles c’est interdit ? Oui », dit Serge Guitard, directeur de l’école Grande-Rivière.

Quant aux parents, ils approuvent. « Je pense qu’ils sont satisfaits parce que leur enfant n’est pas sur son cellulaire toute la journée », dit M. Guitard.

À Gatineau comme à Sorel-Tracy, les élèves s’exposent à des sanctions s’ils ne respectent pas le règlement relatif à l’utilisation du téléphone.

Indispensable pour certains

Directrice générale du Centre Cyber-aide, Cathy Tétreault déplore que la stratégie du ministère de la Santé et des Services sociaux sur « l’utilisation des écrans et la santé des jeunes », dévoilée le printemps dernier, ne soit pas arrimée à des actions concrètes dans les écoles.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Cathy Tétreault, directrice générale du Centre Cyber-aide

« Est-ce qu’il y a une ouverture du ministre Roberge ? Il aime beaucoup les technologies, c’est correct. Quand on ouvre l’accès en fournissant des tablettes [aux élèves], est-ce qu’on s’intéresse à leur santé globale ? Est-ce qu’on fait de la prévention à la cyberdépendance ? », demande-t-elle.

Au centre de services scolaire de la Rivière-du-Nord (CSSRN), dans les Laurentides, on dit aussi qu’il est du ressort de chaque école, voire de chaque enseignant, de faire sa propre politique concernant l’utilisation des téléphones cellulaires en classe.

Pour certains enseignants, interdire le téléphone en classe, « c’est indispensable ». « Nos jeunes sont super branchés », observe Nadyne Brochu, porte-parole du CSSRN.

Pour d’autres profs, c’est un problème qui s’ajoute.

« On a des pochettes derrière les portes de classe pour déposer les téléphones, mais souvent, les jeunes ne les utilisent pas. Il faudrait un seul règlement pour tous les élèves, mais notre école ne semble pas rendue là », observe une enseignante du secondaire.

« Dès qu’on leur demande de ranger leur téléphone, c’est comme si on leur demandait de mettre leur vie sur pause », dit un autre.

Le laisser-faire, option facile ?

Dans ce contexte, comment interdire le téléphone et permettre d’autres outils technologiques en classe ?

« Le téléphone cellulaire est le prolongement de la vie des jeunes, c’est le plaisir. Il y a un côté amusant qu’ils n’ont pas avec la tablette, qui sert à suivre un cours », dit Cathy Tétreault, avant d’ajouter que les élèves trouvent souvent le moyen d’installer les applications qu’ils veulent sur tout appareil fourni par l’école.

L’école Grande-Rivière, elle, n’a pas fermé la porte aux technologies en classe, mais son directeur estime que d’autres écoles ont « acheté la paix » en permettant l’utilisation du téléphone cellulaire sans balises.

Ça serait plus facile de dire : on lâche tout. Mais ça cause d’autres problèmes : il y a des jeunes qui filment [à l’école], qui mettent ça sur les réseaux sociaux, sur TikTok. Il y a ce côté-là qu’on ne gère pas.

Serge Guitard, directeur de l’école secondaire Grande-Rivière

Chaque année, le règlement de l’école secondaire est revu, de concert avec le conseil des élèves, le personnel et les parents.

« Jusqu’à maintenant, tout nous dit qu’on devrait continuer dans ce sens-là », conclut M. Guitard.

Qu’en pensez-vous ?

Les téléphones cellulaires devraient-ils être interdits dans les écoles ? Faites-nous part de vos commentaires.

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  • 74 %
    Pourcentage des jeunes Québécois de 6 à 17 ans qui utilisent un téléphone intelligent
    Source : Étude NETendances, 2021
    97 %
    Selon le gouvernement ontarien, pourcentage de parents, élèves et enseignants qui étaient favorables à une restriction de l’usage du téléphone cellulaire à l’école
    Source : Gouvernement de l’Ontario, 2018