Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a été clair : il veut interdire à toutes les écoles publiques du Québec d’aménager des salles de prière. La semaine dernière, il a promis d’envoyer une directive au réseau scolaire. Plus facile à dire qu’à faire ? Des experts se prononcent.

Une directive, sur quelles bases ?

Après avoir affirmé qu’un local voué à la prière devait surtout être accessible à tous les élèves, peu importe leur foi ou leur genre, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, s’est ravisé. Le 5 avril, il a promis d’envoyer une directive à tous les centres de services scolaires pour interdire l’aménagement de salles destinées à la prière dans les classes. Pourrait-il y en avoir ailleurs dans l’école ? Non, a précisé son cabinet. La directive visera tous les locaux et respectera toutes les lois du Québec en vigueur, promet-on.

À l’initiative du Parti québécois (PQ), les parlementaires ont adopté une motion, la semaine dernière, stipulant que « la mise en place de lieux de prière, peu importe la confession, dans les locaux d’une école publique va à l’encontre du principe de laïcité ». Québec solidaire (QS) a ensuite précisé qu’il était ouvert à une salle de « méditation » ouverte aux élèves de toutes les confessions religieuses et à ceux qui n’en ont pas.

À l’émission Tout le monde en parle, dimanche, la porte-parole du Parti libéral du Québec (PLQ), Marwah Rizqy, a quant à elle été catégorique : « L’école, on veut s’assurer [que ça soit] un lieu qui est neutre pour tout le monde. Ce n’est pas de dire qu’on préfère une religion ou qu’on n’en veut pas [d’une autre]. On n’en veut aucune dans les écoles, et c’est ainsi que ça doit être », a-t-elle dit.

Les balises existantes 

Sous le mandat libéral de Philippe Couillard, de 2014 à 2018, le gouvernement a adopté la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes, mieux connue comme la « loi 62 ». Cette loi définit les critères à suivre dans le cas d’une demande d’accommodement concernant un élève du primaire ou du secondaire. La loi prévoit que les décideurs doivent s’assurer de ne pas compromettre :

  • l’obligation de fréquentation scolaire ;
  • les régimes pédagogiques ;
  • le projet éducatif de l’école ;
  • la mission de l’école (« qui est d’instruire, de socialiser et de qualifier les élèves, dans le respect du principe de l’égalité des chances »).

Ils doivent en outre être en mesure de dispenser les services éducatifs.

Toutefois, divers changements législatifs ont été effectués ces dernières années en matière de laïcité. La Loi sur la laïcité de l’État (dite « loi 21 »), qui a inscrit le principe de la laïcité à même la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, n’a pas pour autant abrogé la loi 62 adoptée sous les libéraux. À ce jour, le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire prévoit également que l’animation « spirituelle » fait partie des services complémentaires offerts aux élèves.

Que doit dire la directive ?

Comment Bernard Drainville pourrait-il s’y prendre pour interdire les salles de prière dans l’ensemble du réseau scolaire ? La question divise les experts.

Dans le cas des écoles où de tels locaux ont été aménagés, il ne s’agit pas forcément d’accommodements raisonnables, rappelle Louis-Philippe Lampron, professeur de la faculté de droit de l’Université Laval. L’accommodement raisonnable est une notion juridique qui répond à des critères précis. Dans le cas des écoles de Laval, il pourrait s’agir d’une entente au cas par cas entre des élèves et leur direction scolaire.

Si le ministre de l’Éducation veut à l’avenir interdire tout lieu voué à la prière, la directive pourrait être contestée. Le Conseil national des musulmans canadiens a d’ailleurs affirmé qu’il la lirait avec attention. « Si on voit que ça brime les droits des individus, on prendra les recours nécessaires », nous a dit son président, Stephen Brown.

Selon M. Lampron, le gouvernement pourrait être tenté de plaider que sa Loi sur la laïcité de l’État embrasse plus large que les obligations de neutralité imposées aux agents de l’État (notamment les enseignants). « Ce qui m’inquiète beaucoup dans la tournure que prend ce débat, c’est le fait qu’il y a beaucoup d’informations difficiles à vérifier ou non vérifiables qui circulent. Ça ressemble vraiment à ce qui a mené à la commission Bouchard-Taylor », s’inquiète-t-il.

Une directive comme un « marteau »

Dia Dabby, du département des sciences juridiques de l’UQAM, croit quant à elle qu’un « établissement d’enseignement public ne peut pas refuser de manière unilatérale toute demande d’accommodement » et qu’une « directive nationale ne pourrait pas le faire ».

« La logique avec laquelle le ministre Bernard Drainville fonctionne va à l’encontre du fonctionnement des accommodements raisonnables dans le système de l’enseignement, qui fonctionne au cas par cas. Avoir une directive unilatérale, ça fait fi de tous les travaux qui ont été effectués sur le terrain sur ce point. C’est y aller avec un marteau énorme, et c’est vraiment la chose la plus disgracieuse qu’on pourrait faire à ce milieu », dit-elle.

Robert Leckey, doyen de la faculté de droit de l’Université McGill, rappelle pour sa part que la Loi sur la laïcité de l’État « portait sur la supposée nécessité d’une neutralité de la part des personnes en position d’autorité, selon l’hypothèse qu’elles incarnent l’État ». Selon lui, l’idée selon laquelle « cette loi devrait aussi s’étendre à la prière par les [élèves] représente un changement majeur ».

Le retour du religieux 

Micheline Labelle, professeure émérite du département de sociologie de l’UQAM, croit que Québec pourrait rouvrir la « loi 21 » s’il faut préciser que la laïcité à l’école implique que l’on puisse interdire les salles de prière. Selon elle, les demandes pour avoir des lieux de prière dans les écoles sont analogues à la contestation de la Loi sur la laïcité de l’État. Elles proviennent, ajoute-t-elle, de « musulmans intégristes » qui mènent en parallèle une « contestation radicale » de la loi sur la laïcité en Cour supérieure.

« Utiliser les chartes et les lois pour faire avancer des causes religieuses, ça fait un bout de temps qu’on appelle ça le retour du religieux sur la scène publique. C’est inquiétant, parce que ça divise les citoyens. Le Québec s’est battu pour la déconfessionnalisation des écoles », dit-elle.

Par ailleurs, Mme Labelle voit très mal comment des élèves de différentes confessions religieuses pourraient prier ensemble dans un même local : « Je vois très mal comment les militants étudiants, parce que ce sont des militants, s’accommoderaient de ça. Ça ne réglerait pas le problème pour la portion la plus intégriste dans chaque groupe qui ne voudrait pas se retrouver en présence de femmes, par exemple. Ça serait un accommodement général, oui, mais un peu naïf. »

L’évolution des évènements

La Presse a pu confirmer que la demande pour des lieux de prière dans les écoles secondaires publiques du Québec constitue un phénomène nouveau.

« Ça se peut que, par le passé, il y ait eu une ou deux demandes dans les écoles, mais ce n’est pas venu à nos oreilles. Mais là, c’est venu à nos oreilles parce qu’il y avait quand même un nombre croissant de demandes d’élèves de confession musulmane », a expliqué Yves Michel Volcy, directeur général du centre de services scolaire de Laval.

Pour la seule école secondaire Mont-de-La Salle, où une salle de recueillement a été ouverte du 31 mars au 4 avril, M. Volcy rapporte une soixantaine de demandes d’élèves.

« Tous les élèves avaient le droit de fréquenter le local, a-t-il indiqué. Les garçons et les filles pouvaient entrer dans le local en même temps, mais ce qu’on a compris, c’est que les filles se sont installées à un endroit dans le local, et les garçons, à un autre endroit. »

Y a-t-il eu un mouvement concerté pour demander l’ouverture de ces classes destinées à la prière ? Ce mouvement coïncide-t-il avec le ramadan où les jeunes peuvent être un peu plus pieux ? « Ce serait hasardeux pour moi, comme premier responsable de l’organisation, de faire un procès d’intention », a répondu le directeur.

Cela dit, ce phénomène s’est en partie désamorcé depuis que cette nouvelle, rapportée par Cogeco Nouvelles le 3 avril, a déclenché une controverse qui s’est rendue jusqu’à l’Assemblée nationale.

En tout, il a été possible de recenser neuf écoles secondaires du Grand Montréal où des locaux de prière sont apparus : l’école secondaire Rive-Nord, à Bois-des-Filion, et l’école secondaire Mont-de-La Salle, à Laval, et sept écoles secondaires situées en Montérégie.

Deux de ces écoles, à Bois-des-Filion et à Laval, ont déjà mis fin à la pratique de la prière. Les sept autres font partie du centre de services scolaire des Grandes-Seigneuries, dans la partie ouest de la Rive-Sud (Châteauguay, Candiac, Saint-Rémi, Mercier, La Prairie, Saint-Constant, Napierville, Sainte-Catherine).

« En lien avec diverses demandes de nos élèves, si des locaux sont disponibles, sept de nos douze écoles secondaires permettent leur utilisation pour répondre aux besoins de recueillement identifiés », a déclaré Hélène Dumais, directrice adjointe du Service du secrétariat général et des communications.

Il est à noter que toutes ces écoles se trouvent dans la région montréalaise, mais pas sur l’île elle-même.

Avec la collaboration de Suzanne Colpron, La Presse