(Lévis) Le Tribunal administratif du travail de la région de Chaudière-Appalaches a conclu qu’une enseignante du primaire a subi une lésion professionnelle après qu’un élève eut apporté des couteaux à l’école et a dit à ses camarades de classe qu’il prévoyait la tuer.

Ce jugement annule une décision de mai 2020 de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui s’était rangée du côté de son employeur, un centre de services scolaire près de Québec et avait rejeté sa réclamation pour accident du travail. La CNESST avait ordonné à l’enseignante, identifiée comme K. R dans le jugement, de rembourser plus de 1590 $ de prestations reçues.

« Recevoir des menaces de mort, même si elles ne sont pas mises à exécution, dépasse le cadre normal et prévisible du travail d’un enseignant de deuxième année », a écrit la juge administrative Renée-Claude Bélanger dans son jugement de fin juillet.

Les faits à l’origine de la lésion professionnelle se sont produits le 27 novembre 2019, indique la décision de la juge Bélanger.

On peut y lire qu’un élève de sept ans — identifié comme X et catégorisé par « un code rouge » dans la liste de classe — a dit à d’autres enfants qu’il avait apporté des couteaux à l’école afin de tuer l’enseignante. Ces menaces ont été signalées à une éducatrice de l’école, qui a trouvé quatre couteaux à beurre dans le sac à dos du garçon et les a confisqués.

K. R. a déclaré au tribunal qu’elle n’avait jamais été officiellement informée de l’incident et qu’elle avait plutôt entendu parler de ce qui s’était passé par une élève de cinquième année qui s’est précipitée vers elle pour l’en informer.

L’enseignante a témoigné qu’après que l’enfant lui a parlé de l’incident, quelques instants avant le début du cours, elle a ressenti un sentiment de panique, au point de ne se souvenir que de peu de choses du reste de la matinée.

« Tout ce dont elle se souvient, c’est que X était dans sa classe et que personne n’est venu la voir pour lui parler de la situation ou lui demander si elle allait bien », a résumé la juge Bélanger.

Plus tard dans la journée, pendant la récréation, une collègue est venue demander à K. R. s’il était vrai que X avait apporté des couteaux à l’école et menacé de la tuer. La collègue lui a dit que tous les enfants parlaient de l’incident, selon le jugement, mais K. R. n’avait toujours pas été officiellement informée de ce qui s’était passé.

Elle n’a découvert que l’élève n’avait apporté à l’école que de simples couteaux à beurre que des mois plus tard, en lisant des documents déposés à la Commission des relations de travail, a écrit Mme Bélanger.

« Le Tribunal considère que (K. R.) aurait préféré ne pas avoir X dans sa classe en début de journée, mais aussi être informée de la situation par quelqu’un d’autre qu’un élève de cinquième année », a-t-elle écrit.

Alors que X et sa mère rencontraient un policier et des administrateurs de l’école ce jour-là, K. R. a témoigné qu’elle n’avait pas été invitée à la réunion, a relevé la juge Bélanger.

Élève perturbateur

Dans son témoignage, K. R. a décrit X comme un élève « turbulent », « imprévisible », « impulsif » et « irrespectueux », qui était craint par les autres enfants et qui s’enfuyait fréquemment de la classe. L’enseignante a aussi témoigné avoir été la cible d’attaques verbales de la part de X, qui « brise son matériel et perturbe le fonctionnement de la classe ». Le jugement énumère d’ailleurs plusieurs épisodes où X a perturbé le cours de la journée en classe ou n’a pas respecté les règles mises en place par l’école.

K. R. a déclaré au tribunal que le comportement du garçon au cours des mois qui ont suivi a exacerbé l’anxiété qu’elle ressentait après l’incident et qu’elle redoutait l’idée de devoir terminer l’année scolaire avec lui dans sa classe.

Les administrateurs de l’école ont rejeté une demande visant à accorder à l’élève du temps pour travailler avec un enseignant spécialisé, selon son témoignage.

Arrêt de travail

K. R. a arrêté de travailler à la mi-janvier 2020 et a consulté un médecin pour son anxiété. Son médecin traitant lui avait diagnostiqué « un trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive » provoqué par l’évènement, un trouble dont les symptômes ont été exacerbés au retour du congé des Fêtes.

L’employeur de l’enseignante, un centre de services scolaire qui exploite l’école près de Québec où elle enseignait, s’est opposé à sa réclamation pour accident du travail. Ni l’école ni le centre de services ne sont nommés dans le jugement.

Selon la décision, l’employeur a soutenu que X n’avait jamais posé de danger réel ou potentiel pour l’enseignante et que sa situation ne répondait pas aux critères d’une lésion professionnelle.

L’employeur a déclaré au tribunal que l’enseignante avait reçu toute l’aide professionnelle nécessaire et disponible et que ses responsabilités d’enseignement constituaient les tâches normales et attendues d’une enseignante au primaire.

Dans sa décision, la juge Bélanger reconnaît que de s’occuper d’un élève perturbateur faisait partie des responsabilités normales d’un enseignant du primaire, mais « que le fait qu’un élève apporte des couteaux dans son sac d’école et qu’il se vante de vouloir les utiliser pour tuer son enseignant constitue un évènement traumatisant pour ce dernier. »

Le « fait de recevoir des menaces de mort, même si elles ne sont pas mises à exécution, dépasse le cadre normal et prévisible du travail d’un enseignant d’une deuxième année de primaire », relève la magistrate.