(Québec) Malgré une année « historique » en matière de création de places en garderie en 2023, les services de garde éducatifs à l’enfance ne croient pas que Québec atteindra ses cibles prévues au « Grand chantier pour les familles » dans les délais impartis. Selon le réseau, l’ajout cumulatif de 37 000 nouvelles places subventionnées d’ici 2025 pourrait prendre plus de temps, d’autant que l’arrivée de milliers d’aides à la classe dans les écoles fait craindre le départ d’un certain nombre d’éducatrices vers le milieu scolaire.

Ce qu’il faut savoir

Dans son « Grand chantier pour les familles », Québec vise la création, d’ici au 31 mars 2025, de plus de 37 000 nouvelles places subventionnées en garderie.

Or, plusieurs enjeux ralentissent toujours les chantiers en cours de réalisation. Des associations du réseau de la petite enfance craignent que ces délais repoussent dans le temps l’atteinte de la cible.

Au même moment, l’ajout de milliers d’aides à la classe dans les écoles fait craindre le départ d’un certain nombre d’éducatrices vers le milieu scolaire.

En date du 30 novembre dernier, selon les données les plus à jour, 14 025 nouvelles places en installation avaient été créées depuis le début du Grand chantier pour les familles, plan d’action dont l’objectif est d’assurer une place à chaque enfant pour que tous les parents qui le souhaitent puissent intégrer le marché du travail. À ce nombre, il faut ajouter 5601 nouvelles places en milieu familial, pour un total de 19 626 places créées dans l’ensemble des garderies depuis 2021-2022.

D’ici au 31 mars prochain, Québec avait pour ambition d’avoir ajouté 30 000 nouvelles places dans le cadre de son plan d’action (sur un objectif total de 37 000). Selon Geneviève Blanchard, conseillère stratégique à la direction générale de l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE), il est pratiquement « impossible » d’atteindre cet objectif dans les délais.

On ne réalisera pas toutes ces places-là au 31 mars. Plusieurs sont en cours [de réalisation, certes], mais on est loin d’avoir terminé. Il y aura d’autres ouvertures [de places], mais pas à la hauteur des 30 000 nouvelles places créées qui avait été prévues.

Geneviève Blanchard, conseillère stratégique à la direction générale de l’AQCPE

Samir Alahmad, président de l’Association des garderies privées du Québec (AGPQ), est du même avis. Selon lui, l’objectif ultime du gouvernement, soit d’avoir créé 37 000 nouvelles places subventionnées d’ici au 31 mars 2025, est tout aussi « ambitieux » et pourrait nécessiter plus de temps.

« Est-ce qu’on va réussir à développer comme c’était annoncé dans le Grand chantier ? J’ai des doutes là-dessus », affirme-t-il.

Des projets qui avancent moins vite que prévu

Du côté des centres de la petite enfance (CPE), plusieurs enjeux ralentissent la construction de nouvelles installations. Mme Blanchard cite l’augmentation des coûts et la flambée des prix des matériaux de construction, alors que les projets doivent se conformer au Programme de financement des infrastructures.

Même si le programme a été bonifié, la différence qui subsiste entre le coût réel des chantiers et les enveloppes qui sont attribuées ralentit leur avancement. Dans bien des cas, des plans doivent être révisés en cours de route par les architectes, qui ont alors pour mandat de rationaliser les espaces afin de respecter un cadre budgétaire qui ne reflète pas toujours la réalité.

Au printemps 2021, l’ancien ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, estimait que la réduction du nombre d’étapes dans le processus de développement des places en CPE – qui était passé de 17 à 9 – permettrait de réduire le délai moyen de 36 à 24 mois.

Malgré tout, estime l’AQCPE, il faut actuellement en moyenne quatre ans pour réaliser un projet de CPE (trois ans si tout va bien et cinq ans s’il y a beaucoup d’embûches).

M. Alahmad, de l’AGPQ, montre également du doigt certaines municipalités qui n’assouplissent pas leurs règles, dit-il, afin d’aider les promoteurs à mettre en branle les chantiers. Il souhaite que Québec effectue un suivi plus serré des projets qui ne se concrétisent pas afin d’attribuer le financement à d’autres équipes qui ont dans les cartons des chantiers pouvant rapidement être lancés.

La ministre Roy garde le cap

Malgré tout, la ministre de la Famille, Suzanne Roy, garde le cap. Elle maintient l’objectif final d’avoir créé 37 000 nouvelles places subventionnées d’ici au 31 mars 2025 et compte entre autres pour y arriver sur « de belles surprises positives » dans le cadre de son projet de garderies « préfabriquées », qui réduirait sensiblement le délai moyen pour créer de nouvelles installations. Une annonce à ce sujet est prévue dans les prochaines semaines.

Concernant la pénurie de main-d’œuvre en petite enfance, qui a mené l’automne dernier la ministre à reconduire jusqu’en 2027 un ratio réduit d’une éducatrice qualifiée sur deux (plutôt que deux éducatrices qualifiées sur trois) dans les services de garde, afin d’éviter des ruptures de service, Mme Roy entend multiplier les initiatives afin de rehausser l’attractivité de la profession.

Geneviève Blanchard, de l’AQCPE, craint toutefois que l’ajout de 4000 aides à la classe dans l’ensemble du réseau scolaire, une mesure souhaitée par Québec dans ses récentes négociations avec les syndicats, attire dans les écoles des éducatrices de la petite enfance. Pour éviter un exode trop prononcé, elle estime qu’il faut une fois de plus revoir la rémunération dans les garderies.

Il y a eu un rattrapage salarial [avec la plus récente convention collective], mais ça reste le diplôme d’études collégiales qui est le moins bien payé de tous les DEC.

Geneviève Blanchard, conseillère stratégique à la direction générale de l’AQCPE

À Québec, la ministre Roy partage l’inquiétude des garderies face à l’attrait des postes d’aide à la classe. « C’est une préoccupation qu’on a. On veut bien créer des places, mais c’est important d’avoir les éducatrices à l’intérieur de nos services de garde. On met d’autres initiatives en place pour faire la promotion et la valorisation de leur travail », dit-elle. Lors du lancement du Grand chantier pour les familles, le gouvernement estimait qu’il fallait 17 800 éducatrices de plus dans le réseau afin d’offrir les 37 000 nouvelles places projetées.

En ce qui concerne le salaire, Mme Roy rappelle qu’« on va rentrer bientôt en négociation au niveau de la convention collective ».

« Lors de la dernière convention collective, il y a eu un rattrapage [de la rémunération] des éducatrices [pouvant atteindre] 18 %. On va laisser les négos se faire, elles ont de bons représentants syndicaux qui seront capables de bien défendre leur point de vue. Face à la pénurie de main-d’œuvre, nous devons être compétitifs », estime la ministre.