Quand un enseignant l’échappe ou dérape, parfois plus d’une fois, il est compliqué de s’en débarrasser. À moins qu’il ne parte de lui-même.

Est-il trop difficile de congédier un professeur qui ne fait pas l’affaire ? Au moins un centre de services scolaire sur cinq au Québec n’a congédié aucun enseignant dans les cinq dernières années, montrent des données obtenues par La Presse.

Québec veut renforcer la protection des mineurs dans les écoles avec le projet de loi 47, qui aurait pour effet d’éviter que les profs passent d’un centre de services à l’autre sans que leur dossier les suive.

Nous avons demandé aux 72 centres de services scolaires (CSS) de la province combien d’enseignants ils ont renvoyés dans les cinq dernières années scolaires. Sur les 45 qui nous ont répondu, 17 n’avaient congédié aucun prof au cours de cette période. Et dans les centres qui en ont licencié, les cas sont rares.

« Congédiement est un terme assez précis, ce n’est pas l’unique et seule façon de mettre fin à un lien d’emploi », explique Catherine Roussel, directrice générale adjointe du centre de services scolaire de Laval (CSSDL), où aucun enseignant n’a été congédié en cinq ans.

Quand les profs ne sont pas permanents, on peut « fermer le dossier » ou encore les radier des listes de priorité, poursuit Mme Roussel.

Cela peut prendre du temps. Dans un récent jugement du Tribunal administratif du travail, on apprend qu’une suppléante qui travaillait à Montréal a fait l’objet de cinq « rapports d’évènement ». L’employeur a néanmoins décidé de la conserver sur les listes de suppléance, « tout en radiant son nom de certaines écoles visées ».

« La plaignante est radiée totalement des listes de suppléance en décembre 2021 à la suite d’un sixième rapport d’évènement. On lui reproche une attitude négative et désagréable et un manque de professionnalisme lors d’un contrat de suppléance le 9 novembre 2021 », lit-on dans la décision.

Le syndicat n’a pas contesté cette décision.

Plusieurs centres de services nous ont répondu que s’ils n’ont congédié aucun enseignant sur une période de cinq ans, c’est que plusieurs démissionnent bien avant la fin des procédures menant à leur renvoi.

C’est notamment ce que nous a répondu le centre de services scolaire des Patriotes, qui n’a montré la porte à aucun enseignant pendant cette période.

Propos et comportements inappropriés en classe, manque de jugement, altercation avec un élève, vol de temps, harcèlement psychologique envers des élèves, allégations de représailles envers un élève et allégations de facultés affaiblies au travail font partie des multiples raisons citées par les centres de services scolaires pour suspendre ou – plus rarement – congédier des enseignants.

Est-ce qu’il est difficile de congédier un enseignant syndiqué qui ne fait pas son travail comme il le devrait ?

Diane Gagné, professeure de relations de travail à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), répond par l’affirmative, mais ajoute que « ce ne sont pas les syndicats qui empêchent les congédiements ». Les employeurs doivent être « sérieux » quand ils montent leurs dossiers visant un employé. Or, « le gestionnaire, souvent, baisse les bras devant la paperasse qu’il faut pour monter les dossiers », dit Mme Gagné, qui rappelle qu’une « faute grave » peut mener à un congédiement direct.

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La professeure de relations de travail à l’UQTR Diane Gagné

« Ça devient plus compliqué quand il y a un syndicat, bien évidemment », poursuit Mme Gagné, tout en ajoutant que certaines conventions collectives sont « plus difficiles que d’autres ».

Congédiée, puis réembauchée

Une autre décision du Tribunal administratif du travail fait état d’une enseignante aux adultes, congédiée après une évaluation négative, qui a dû être réembauchée en 2019 après une contestation de son syndicat. Le centre de services scolaire lui a proposé un remplacement de congé de maternité dans une classe de 6e année.

Les syndiqués ne sont pas défendus à tout prix, dit Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement. « Ce n’est pas vrai qu’on défend tous les congédiements. On va représenter tous nos membres, et c’est très différent. Les représenter, c’est s’assurer que leurs droits ont été respectés », dit-elle.

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La présidente de la Fédération autonome de l’enseignement, Mélanie Hubert

« Il est possible que dans certains cas, il n’y ait aucune défense imaginable et on n’ira pas faire un grief, mobiliser les ressources des tribunaux, mobiliser les ressources financières des cotisants pour représenter quelqu’un s’il n’y a aucune chance raisonnable de gain », poursuit Mme Hubert.

Les clauses d’amnistie dans la ligne de mire

Au cours des dernières années, des reportages ont mis en lumière des cas de membres du personnel scolaire qui avaient commis des gestes répréhensibles dans une école et qui ont pu changer d’établissement sans être inquiétés.

En décembre dernier, un enseignant au collège Stanislas de Montréal, Alexandre Gagné, a été reconnu coupable d’avoir rendu accessible à un mineur du matériel sexuellement explicite. Une enquête de La Presse a révélé qu’il aurait eu des comportements semblables avec des élèves mineurs de deux autres écoles.

Une situation en ce moment difficile à enrayer. « Pour avoir été directrice d’école et directrice générale [d’un CSS], il y a eu des situations où on commence à monter un dossier, la personne s’en va et on était contraint de ne pas pouvoir aviser le prochain centre de services de la situation qui nous préoccupait », dit Caroline Dupré, présidente de la Fédération des centres de services scolaires du Québec (FCSSQ).

La loi 47 entend donner plus de latitude aux centres de services pour obtenir les informations sur un futur employé.

« Ce n’est pas normal qu’un enseignant puisse commettre des gestes à caractère sexuel en toute impunité et se déplacer d’un centre de services scolaire à un autre sans conséquence », a déploré le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, en décembre dernier.

Mais en période de pénurie, les centres de services scolaires tournent parfois les coins ronds quand vient le temps de vérifier les antécédents du personnel, affirme Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).

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Le président de la Centrale des syndicats du Québec, Éric Gingras

Bien souvent, on cherche à aller rapidement pour combler des postes.

Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec

Québec veut aussi mettre fin aux « clauses d’amnistie » inscrites dans plusieurs conventions collectives et qui effacent les informations d’un dossier disciplinaire après une période donnée, souvent au bout d’un an.

La Fédération des centres de services scolaires du Québec souligne que ces clauses sont parfois un frein au renvoi d’enseignants. « Nos démarches deviennent caduques après un certain temps et il faut recommencer », dit Caroline Dupré, présidente de la FCSSQ.

Un instant, disent les syndicats, qui s’opposent à ce que ces clauses soient retirées des conventions collectives. « Ce que la clause d’amnistie dit, c’est que si le geste ne se reproduit pas, ça part », dit Éric Gingras, président de la CSQ. Si un prof crie sans cesse dans sa classe, illustre-t-il, la clause d’amnistie ne s’appliquera pas, puisque le comportement ne cesse pas.

La Fédération autonome de l’enseignement souligne que les gens doivent avoir le droit de « s’amender ».

La professeure de l’UQTR Diane Gagné cite l’exemple d’une personne qui serait « régulièrement en retard » à cause d’un problème de garderie ou de transports en commun et qui changerait de région pour faciliter ses déplacements.

« Est-ce que ce dossier devrait la suivre ? Non. J’ai toujours peur des projets mur à mur », dit Mme Gagné.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Les suspensions bien plus fréquentes

Parmi les centres de services scolaires qui nous ont répondu, c’est celui de Montréal (le plus important au Québec) qui a renvoyé le plus d’enseignants entre 2018 et 2023, soit 11. Il en a suspendu 106 au cours de cette même période. Ce centre de services emploie 9000 enseignants.

Le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, à Montréal, a suspendu le plus d’enseignants en cinq ans, soit 110. Ce CSS a refusé de nous dire combien ont été congédiés pendant cette même période.

De manière générale, les suspensions sont bien plus fréquentes que les congédiements. Le centre de services scolaire de Laval, qui n’a congédié aucun enseignant en cinq ans, en a suspendu 57. Le centre de services scolaire des Affluents a suspendu 76 enseignants entre 2018 et 2023, sans en congédier.

Certains centres de services, dont celui des Portages-de-l’Outaouais et celui de Beauce-Etchemin, nous ont répondu n’avoir congédié, ni suspendu, aucun enseignant en cinq ans.