Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, multiplie les attaques contre le Parti conservateur, l'accusant de vouloir rouvrir le débat sur l'avortement. À preuve : le projet de loi C-484, qui avait été adopté en deuxième lecture avant de mourir au feuilleton, lors du déclenchement des élections fédérales.

Un gouvernement conservateur n'a aucune intention de légiférer sur les interruptions de grossesse, rétorque Stephen Harper, selon qui l'avortement était nommément exclu de ce projet de loi visant à protéger le foetus dans des cas de violence contre des mères enceintes.

M. Duceppe est revenu à la charge lundi, en signalant que 37 États américains ont adopté des lois semblables et que cela a « enclenché la remise en cause du droit à l'avortement ».

Qui a raison ? Qui a tort ?

Vérification faite, l'avortement était explicitement exclu de la portée du projet de loi C-484. Ce qui ne signifie pas que son auteur, le député Ken Epp, n'ait pas nourri l'espoir de pouvoir un jour aller plus loin pour protéger le foetus. Cela ne serait pas étonnant, puisque ce politicien est proche de Focus on the Family, une organisation de la droite religieuse farouchement opposée à l'avortement.

Les organisations pro-vie ont d'ailleurs accueilli son projet de loi comme un premier pas dans la bonne direction. « C'est sûr qu'il faudrait d'autres projets de loi pour criminaliser l'avortement, mais au moins, c'est un début de reconnaissance des droits du foetus », s'était réjoui Luc Gagnon, président de Campagne Québec-Vie, dans une entrevue avec La Presse, au printemps dernier. Il se trompait peut-être - mais c'est l'intention que prêtaient au député plusieurs des partisans de son projet de loi.

Quant à l'exemple américain, c'est à tort que M. Duceppe l'associe à une érosion du droit d'avorter. Oui, c'est vrai qu'une trentaine d'États américains ont adopté diverses lois visant à « protéger le foetus ». Mais la plupart de ces lois ne remettent pas en question le fameux jugement Roe vs Wade, qui encadre le droit à l'avortement aux États-Unis. Et aucune femme n'a été poursuivie pour tentative d'avortement en vertu de ces lois.

En revanche, selon une étude des National Advocates for Pregnant Women (NAPW), ces lois ont été invoquées contre des dizaines de femmes qui ont eu des ennuis avec la justice pour avoir fait subir des sévices à leur enfant à naître, par leur comportement potentiellement nocif. Ainsi, au Texas, qui a adopté une loi sur la protection du foetus en 2004, une quarantaine de femmes enceintes toxicomanes ont été arrêtées sous prétexte qu'elles fournissent de la drogue à un mineur. Plusieurs de ces femmes ont été innocentées, mais au prix de longues et coûteuses batailles judiciaires.

Le projet de loi C-484 aurait-il ouvert la porte à de tels dérapages ? Peu probable, croient les experts, puisqu'il excluait également les cas où la femme enceinte aurait elle-même infligé des sévices à son foetus.

Cela dit, on peut se poser des questions sur l'utilité d'une telle loi. Car dans l'ensemble, constate la NAPW, quelles que soient leurs motivations officielles ou cachées, ces lois passent à côté de leur but premier : elles n'ont jamais fait baisser les agressions contre les femmes enceintes.