Un concombrophone, une rubharpe et des carottes traversières: depuis 10 ans, les Autrichiens de l'Orchestre de légumes mitonnent une «musique électronique organique» avec des instruments exclusivement tirés du panier de la ménagère, de Hong Kong à Belfast. 

«Le concept peut prêter à sourire. Mais notre formation est unique au monde par son ampleur et son sérieux», souligne Tamara Wilhelm, l'un des 12 membres de ce collectif qui cherche ses racines aussi bien chez Kraftwerk que chez John Cage.L'Orchestre, devenu hôte de choix des scènes pop, jazz ou classiques en Europe et en Asie, devait donner vendredi, en primeur, son concert de jubilé à la prestigieuse Maison de la radio à Vienne, avant une mini-tournée en France et en Allemagne.

Tout a pourtant débuté sur un mode loufoque, reconnaissent ses fondateurs, alors étudiants à Vienne.

«On était parti sur l'idée d'un pied-de-nez, d'un défi. Mais très vite nous avons réalisé que quelque chose de plus ambitieux était possible», précise Jörg Piringer, l'une des figures historiques du groupe.

Issus du monde de la musique, mais aussi de l'architecture, du design, des arts plastiques et de la création vidéo, l'Orchestre a vite développé un univers propre mariant avec raffinement le végétal et la technologie.

«Nous produisons ce qu'on pourrait appeler de la musique électronique organique», résume Tamara Wilhelm.

«Sans technologie, et notamment sans micros et amplificateurs sophistiqués, notre musique ne pourrait pas exister. Mais sur scène nous jouons tout en direct, sans boucles enregistrées, afin de conserver à nos concerts le caractère d'une performance artistique», souligne-t-elle.

Le résultat est une musique littéralement inouïe, principalement percussive, où le crissement du chou, le sifflement de la carotte, le choc des aubergines, la caresse du poireau et le barrissement du concombre composent des mélopées hypnotiques entre musique techno et chant de baleines.

«Les légumes permettent de créer un univers sonore tout à fait unique, qui ne serait que très difficilement reproductible avec des synthétiseurs», estime Jörg Piringer.

Jouer du légume n'est toufois pas de tout repos: chaque performance du groupe est précédée par une visite au marché en raison de la nature périssable des instruments de ce «Krautrock» très particulier.

«Il faut 70 kilos de légumes frais par concert et trois heures de travail pour façonner la quarantaine d'instruments employés», certains devant être remplacés plusieurs fois par concert, notamment par forte chaleur, selon lui.

Parmi les créations les plus originales figure la «rubharpe», à base de fils de rhubarbe, et le concombrophone, composé d'un embout de carotte, d'un corps de concombre et d'un pavillon de poivron.

Invité à se produire aussi bien à Singapour ou à Hong Kong qu'à Moscou, aux Transmusicales de Rennes (France) ou à Belfast, l'Orchestre, qui a donné près de 200 concerts à ce jour, doit aussi se reposer sur les aléas des produits et climats locaux.

«En Asie, on ne trouve pas nos radis habituels. En Italie, il fait souvent trop chaud. Et en Grande-Bretagne, les carottes sont pleines d'eau et n'ont aucune tenue», relève Tamara Wilhelm.

«Ce n'est pas facile mais c'est ce qui rend l'entreprise passionnante. Le fait de se limiter strictement aux légumes oblige à toujours chercher de nouvelles idées. Le sujet est inépuisable», assure-t-elle.

Le groupe, dont la vidéo a été visionnée près de deux millions de fois sur le site de partage Youtube, a en outre la particularité d'offrir au public une soupe --de légumes bien entendu-- à la fin de la plupart de leurs concerts.

«Mais nous ne sommes ni forcément végétariens, ni militants écolos. D'ailleurs nos instruments ne sont pas bio car cela reviendrait trop cher», précise Tamara Wilhelm.