Un dimanche midi à la mi-décembre. Impossible de trouver une place dans l'église: elle est pleine, et une vingtaine de personnes sont debout à l'arrière.

Après les derniers mots du prêtre, les jeunes familles sortent, les enfants endimanchés, les adolescents chaussés de souliers Vans à carreaux, les jeunes adultes sur leur 36. La paroisse catholique vietnamienne de Montréal, au coin des rues Lanaudière et Bélanger, semble tout droit tirée du Montréal des années 50.

Le Québec est la province canadienne où le taux d'assistance à la messe dominicale est le plus faible. Moins de 10% des jeunes adultes vont à la messe chaque dimanche, selon une étude réalisée en 2000 par le sociologue albertain Reginald Bibby. Mais ce portrait change du tout au tout dans les communautés issues de l'immigration.

Dans la paroisse vietnamienne, chaque dimanche, à la messe de 10 h 30, plus d'un demi-millier de personnes s'entassent dans l'église, et une trentaine de jeunes chantent dans la chorale. Les autres messes du week-end attirent une centaine de personnes chacune. C'est autant que la messe en français du dimanche matin - la communauté vietnamienne occupe l'église de la Petite-Patrie depuis le début des années 90, mais des prêtres francophones y officient encore pour les fidèles du quartier. Et contrairement à beaucoup de paroisses «de souche», l'église catholique vietnamienne a une messe tous les jours de la semaine, à 8 h, qui attire une bonne trentaine de personnes.

«S'il n'y avait pas autant de problèmes de stationnement, il y aurait beaucoup plus de gens à la messe du dimanche, affirme Thanh Son Dinh, qui y officie depuis 2000. Avant, j'étais à Anjou. Il y avait peut-être 30 ou 40 personnes à la messe, surtout des personnes âgées. Ici, j'accueille beaucoup de jeunes.»

Le responsable des communautés culturelles à l'archevêché de Montréal, Igino Incantalupo, confirme que l'Église catholique est beaucoup plus multiculturelle que le reste de la population. «J'ai entendu à la radio que la moitié des catholiques montréalais sont issus de communautés culturelles, dit-il dans son bureau du centre-ville. Ça me semble entièrement plausible si on met ensemble la quarantaine de paroisses et de missions culturelles et les gens des communautés culturelles qui fréquentent leur paroisse locale.»

Mgr Incantalupo, qui est lui-même arrivé en 1967 d'Égypte, où sa famille d'origine italienne vivait depuis des décennies, énumère les impressionnantes statistiques de fréquentation des paroisses culturelles: 2200 personnes par fin de semaine à Notre-Dame-de-Guadalupe, qui accueille les Latino-Américains, 3200 à Notre-Dame-de-Pompéi, que fréquentent les Italo-Montréalais, 300 pour la paroisse coréenne, 800 pour la paroisse philippine, 1000 pour Santa Cruz, de la communauté portugaise.

«Dans les paroisses francophones, s'il y a 200, 300 personnes, c'est beau, dit Mgr Incantalupo. Et on parle de communautés qui sont souvent établies ici depuis longtemps. La pratique religieuse diminue dans la deuxième ou troisième génération d'immigrés, mais est encore très élevée.»

Le phénomène n'est pas restreint aux catholiques. L'église évangélique de la Restauration, dont les fidèles sont surtout latino-américains, a acheté plus tôt cette année l'église catholique Saint-Louis-de-France, au coin des rues Berri et Roy, pour 1,3 million de dollars. La fréquentation des messes a fait un bond soudain, au point que le Refuge, qui accueille de jeunes sans-abri dans des locaux loués à l'église, craint de devoir déménager.

La paroisse est un lieu d'accueil pour les immigrés, qui y retrouvent des rites familiers et du soutien pour s'installer dans le pays d'accueil, dit Mgr Incantalupo. «J'ai même entendu que les églises évangéliques vont accueillir les nouveaux arrivants à l'aéroport. Ce n'est pas notre manière de faire, mais ça montre qu'il y a un besoin d'accueil.»

D'ailleurs, la plupart des étudiants qui fréquentent les aumôneries universitaires sont des étudiants étrangers, dit Gilles Routhier, théologien à l'Université Laval. «Le phénomène est moins avancé au Québec qu'ailleurs au Canada et aux États-Unis, parce qu'il y a beaucoup de catholiques de souche, dit M. Routhier. Mais il faut s'attendre à ce que le visage de l'Église change dans les prochaines décennies.» Aux États-Unis, des théologiens qui se sont penchés sur la question ont observé que les communautés culturelles sont souvent mal à l'aise avec le relatif libéralisme culturel des églises chrétiennes «de souche», notamment en matière de sexualité.

Même les prêtres sont de plus en plus issus de communautés culturelles. Au Grand Séminaire de Montréal, ils forment de 30 à 40% des candidats. «Et ce sont très souvent des gens qui sont nés ici de parents ou de grands-parents immigrés», note Charles Langlois, le recteur du Grand Séminaire.