Malgré les arguments qui s'accumulent contre sa position, Stephen Harper continue de nier qu'il a considéré prendre le pouvoir en 2004 sans passer par des élections - une option qu'il qualifie aujourd'hui d'illégitime.

«Mon bilan est extrêmement clair: je n'ai jamais tenté de prendre le pouvoir sans avoir gagné des élections», a-t-il insisté à Régina, mardi.

Pourtant, dans une lettre envoyée à la gouverneure générale cette année-là, cosignée avec les chefs du NPD et du Bloc québécois, il lui demandait de considérer «toutes ses options», si le premier ministre de l'époque, Paul Martin, lui demandait de dissoudre le Parlement, peu après avoir été élu avec un gouvernement minoritaire.

M. Harper affirme qu'il aurait demandé à la gouverneure Adrienne Clarkson de refuser la dissolution et de maintenir Paul Martin au pouvoir.

Or, tel que rapporté par La Presse, la gouverneure a écrit dans ses mémoires qu'elle aurait plutôt demandé à Stephen Harper, alors chef de l'opposition, de former le gouvernement.

De plus, dans une entrevue donnée au National Post, un conseiller de longue date du premier ministre et ancien chef de cabinet, Tom Flanagan, a indiqué qu'à son avis, une forme de coopération avec les autres partis pour permettre aux conservateurs de prendre le pouvoir était bel et bien dans les cartes.

«Je travaillais pour lui à l'époque, mais je n'étais pas impliqué là-dedans», a précisé M. Flanagan.

«Mais l'explication de non-coalition serait qu'il cherchait à voir s'il y avait un terrain d'entente au cas où les libéraux de Paul Martin était défaits, et avant que M. Martin puisse provoquer d'autres élections. Y avait-il un terrain d'entente pour que les conservateurs forment un gouvernement minoritaire?»

Ce scénario confirme ce qu'affirment aujourd'hui les deux cosignataires de la lettre, Gilles Duceppe et Jack Layton.

«Je ne vois pas d'autre raison pour écrire cette lettre que de rappeler à tout le monde qu'il était possible de changer le gouvernement dans de telles circonstances, sans des élections», a renchéri Tom Flanagan.

Un expert consulté par le magazine Maclean's lundi a pour sa part remis en question la version de Stephen Harper, selon laquelle sa lettre ne visait qu'à mettre de la pression sur le gouvernement Martin pour qu'il travaille avec les partis de l'opposition et qu'il se serait contenté de demander à la gouverneure générale de le forcer à rester en place, s'il avait tenté de dissoudre le Parlement.

M. Harper a «une drôle de compréhension du rôle de la GG et de ce qui serait arrivé», a lancé Don Desserud, de l'Université du Nouveau-Brunswick. Selon ce spécialiste du système parlementaire canadien, Mme Clarkson aurait suivi les précédents constitutionnels et demandé au chef de l'opposition de former le gouvernement, à défaut de quoi elle aurait déclenché des élections.

Près de sept ans plus tard, la question du degré de collaboration avec les autres partis que Stephen Harper aurait mis en place dans de telles circonstances demeure entière, puisque le scénario ne s'est pas concrétisé.

Mais le sujet est bel et bien devenu un enjeu en ce début de campagne électorale, à la lumière des attaques lancées par Stephen Harper depuis le début de ses adversaires.

Il a poursuivi dans la même veine, mardi.

«Je n'ai jamais tenté de prendre le pouvoir sans avoir gagné des élections, a-t-il martelé. Mais les autres l'ont fait. Et plus important, dans ces élections, ils ont dit qu'ils le feraient.»

Michael Ignatieff a déclaré par écrit en début de campagne qu'il s'engageait à ne pas former de coalition s'il n'était pas élu. Mais M. Harper l'accuse d'avoir caché la vérité.

«Le choix est clair pour les Canadiens: soit un gouvernement Ignatieff qui sera mis au pouvoir par le NPD et le Bloc québécois ou un gouvernement conservateur majoritaire. C'est le choix auquel les Canadiens font face», a-t-il conclu.

Les propos de M. Flanagan ont tout de même fait réagir. Sans surprise, les chefs des autres partis ne partagent pas les conclusions du leader conservateur.

«Tom Flanagan a dit exactement ce que je disais», a réagi le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe.

«Ce que M. Harper tente de nous raconter, c'est qu'il n'avait pas déposé une motion de confiance le 9 septembre (2004). C'est vrai: la Chambre était fermée le 9 septembre. Comment vouliez-vous qu'il dépose une motion de confiance? C'est proprement ridicule.»

«Le discours du Trône constitue une question de confiance, a-t-il fait remarquer. M. Harper le savait très bien. Dans son livre, Mme Clarkson dit la même chose que je dis.»

«Quand (M. Harper) dit qu'il est faux que celui qui ne termine pas premier (aux élections) ne peut pas devenir premier ministre, eh bien, il écrivait exactement le contraire à Mme Clarkson.»