Le premier ministre Charest a haussé le ton vendredi devant les intentions du chef conservateur, Stephen Harper, qui a promis d'appuyer financièrement le projet de centrale hydro-électrique du Bas-Churchill, à Terre-Neuve.

Cette promesse a été une totale surprise pour le Québec: la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, soutenait depuis des semaines que son homologue fédéral, Christian Paradis, lui avait garanti personnellement qu'Ottawa n'irait pas dans cette direction.

Même dans un récent entretien privé, à Québec, il y a deux semaines, M. Harper n'a pas soufflé mot de ses intentions à Jean Charest, a révélé ce dernier. «On n'attendait pas de décision fédérale à ce sujet. M. Harper connaissait très bien notre position, qui avait été exprimée à lui et à ses ministres à plusieurs reprises», a dit vendredi M. Charest. «J'ai appris ça en même temps que tout le monde...» a-t-il laissé tomber.

Dans un point de presse destiné à faire la liste des attentes du Québec à l'endroit des chefs de parti «susceptibles de former le gouvernement», M. Charest a dénoncé l'intention annoncée jeudi par les conservateurs.

«Le Québec s'oppose à ce que le gouvernement fédéral intervienne dans la production et la transmission de l'hydroélectricité», a martelé M. Charest. À Terre-Neuve, où les conservateurs ont été rayés de la carte en 2008, M. Harper avait annoncé la veille qu'Ottawa consentirait une «garantie de prêt ou un autre soutien financier» à la construction du barrage de Lower Churchill, à hauteur de 4 des 6,2 milliards nécessaires.

M. Charest estime que, ce faisant, Ottawa changerait les règles du jeu. Le Québec, rappelle-t-il, «a développé seul son réseau, Hydro-Québec a financé seule ses activités, y compris les interconnexions avec nos voisins» - les provinces ont toujours payé elles-mêmes les réseaux qui les relient.

Le système d'exportation de l'électricité, mis au point en 1996 pour toute l'Amérique du Nord, fonctionne bien, insiste M. Charest. En subventionnant le prix de l'énergie produite par ce barrage, Ottawa change la donne, et c'est inacceptable. Curieusement, le premier ministre n'avait aucun chiffre à donner sur l'impact de l'intervention d'Ottawa sur le coût du projet ni même sur le prix de l'énergie produite.

Impact réduit

Spécialiste de ces questions, Jean-Thomas Bernard, professeur à l'Université Laval, relativise toutefois l'impact économique du geste d'Ottawa. L'électricité produite à Muskrat Falls sera très coûteuse: à 6,2 milliards, le barrage coûtera le même prix que celui de La Romaine, mais il produira deux fois moins d'énergie. Des 820 mégawatts attendus de ce projet, 200 pourront être exportés en Nouvelle-Angleterre. C'est l'équivalent du contrat à long terme entre le Québec et le Vermont.

La nécessité de tendre des lignes de transport sous-marines fait grimper la facture, d'autant plus que le tronçon de 20 km entre Terre-Neuve et le Labrador nécessite un tunnel pour mettre le câble à l'abri des icebergs. Sur l'autre segment (plus de 100 km), on doit creuser une tranchée dans le fond marin.

Ed Martin, président de Nalcor Energy (l'équivalent d'Hydro-Québec à Terre-Neuve) a soutenu récemment devant un comité du Sénat que le projet de Lower Churchill serait «rentable et peut être mis en oeuvre sans garantie de prêt», même sans l'appui financier d'Ottawa. Il avait estimé à 900 millions l'avantage que procurerait une garantie de prêt fédérale, ce qui réduirait les tarifs d'électricité.

M. Charest dit qu'il n'est pas question que le Québec dicte ses choix à la province voisine: «On ne s'oppose pas à ce que Terre-Neuve développe son hydroélectricité.» C'est le principe d'une intervention fédérale qui est en cause.

Jean Charest fait bien peu de cas de l'explication du chef conservateur, qui a fait valoir que le projet de Terre-Neuve permettrait de réduire les gaz à effet de serre. Selon lui, Ottawa pourrait utiliser cet argent ailleurs, dans des projets de train rapide entre les grandes villes du pays, par exemple.

À cette attaque sur le dossier de Churchill Falls, M. Charest a ajouté une liste de revendications.

La maîtrise d'oeuvre en matière de culture et de communications, réclamée en 2008, n'en fait plus partie. «S'il fallait revenir sur chaque dossier, il faudrait vous servir le lunch... et le souper aussi!» a-t-il ironisé.

Le remplacement du pont Champlain est à l'ordre du jour: «le temps presse», a dit M. Charest. On n'est plus au stade de s'interroger sur la nécessité ou non de construire un nouvel ouvrage. Le pont Champlain, où passent 60 millions de véhicules par année, est au bout de sa vie utile, a-t-il dit.