Depuis 2006, le Bloc québécois dénonce sans ménagement les efforts timides du gouvernement Harper en matière de lutte contre les changements climatiques.

Depuis trois ans, le gouvernement Charest ne s'est pas gêné non plus pour attaquer le bilan d'Ottawa pour lutter contre le réchauffement de la planète. Jean Charest s'est même rendu à Copenhague pour dénoncer la cible «pas assez ambitieuse» du gouvernement Harper en matière de réduction de GES.

En principe, le Bloc québécois et Jean Charest devraient donc voir d'un bon oeil la promesse des conservateurs, jugés comme des «cancres» dans le dossier environnemental, de garantir un prêt de 4,2 milliards de dollars afin de permettre à Terre-Neuve d'aller de l'avant avec son projet hydroélectrique du Bas-Churchill, au Labrador.

Au total, ce projet est évalué à 6,2 milliards de dollars et permettra notamment l'installation d'un câble sous-marin entre Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse pour y transporter l'énergie produite par le complexe hydroélectrique du Bas-Churchill.

Selon les conservateurs, le projet de Lower Churchill donnera à la région de l'Atlantique une chose qui lui manque cruellement: une nouvelle source majeure d'énergie propre. La Nouvelle-Écosse dépend de deux centrales de charbon polluantes pour produire son électricité. Le Nouveau-Brunswick pourrait fermer une usine de charbon en ayant accès à l'électricité de Terre-Neuve. Selon certaines estimations, le projet réduira les émissions de carbone de 4,5 millions de tonnes par année, soit l'équivalent du retrait de 3,2 millions de voitures de la circulation chaque année.

Le Parti conservateur promet aussi d'offrir un tel soutien financier à toute province qui proposera des projets qui permettront «de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Nous allons procéder d'une manière équitable pour chacune des régions du Canada», a dit Stephen Harper jeudi à St-John's.

Si le Parti libéral, le NPD et certains groupes environnementalistes ont dit appuyer cette mesure, le Bloc québécois et Jean Charest sont montés au créneau pour la dénoncer. Gilles Duceppe estime qu'il s'agit d'une «gifle au visage» au Québec parce que ce coup de pouce d'Ottawa permettra à Terre-Neuve de concurrencer éventuellement Hydro-Québec pour la vente d'électricité sur le marché de la Nouvelle-Angleterre. Jean Charest s'y oppose parce que le gouvernement fédéral change les règles du jeu du marché d'exportation d'électricité avec cette garantie de prêt.

De toute évidence, le Bloc québécois et Jean Charest se trouvent coincés entre l'arbre (mettre en oeuvre des projets pour lutter contre les changements climatiques) et l'écorce (les intérêts financiers d'Hydro-Québec) sur cette question.

Mulcair est d'accord

Pour le candidat et député sortant du NPD dans Outremont, Thomas Mulcair, le Bloc québécois et le gouvernement du Québec tiennent un discours contradictoire.

«Cela fait huit ans que je me bats pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela fait huit ans que je me bats pour une vision pour de l'énergie propre et renouvelable. Je vais être conséquent avec moi-même. Je suis favorable à la réalisation d'un projet hydroélectrique dans ces conditions-là», a dit M. Mulcair hier.

«Bernard Bigras (le critique bloquiste en matière d'environnement) aime faire des effets de toge en environnement à longueur d'année. Le Bloc est maintenant confronté à son incohérence dans ce dossier. Quand il s'agit d'appuyer un projet qui pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre, il préfère jouer sa petite politique habituelle», a ajouté M. Mulcair.

Le ministre des Ressources naturelles, Christian Paradis, abonde dans son sens. «La position du Bloc québécois est très hypocrite. D'un côté il dit que le gouvernement fédéral doit faire plus en matière de protection de l'environnement et de l'autre il s'oppose à un projet prometteur. Quand je vois les gens dire que ce sera de la concurrence déloyale, ce n'est pas vrai. Nous allons être équitables envers toutes les régions. À ce que je sache, Hydro-Québec a beaucoup de projets sur la planche à dessin».

Mais pour Bernard Bigras, l'intention du gouvernement fédéral est inacceptable. «Il faut contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre par des énergies renouvelables. C'est justement l'objectif du Québec lorsqu'il tente de vendre aux États-Unis de l'énergie hydro-électrique».

M. Bigras, qui est à nouveau candidat dans Rosemont-La Petite-Patrie, croit qu'Ottawa doit plutôt investir dans un TGV entre Québec et Windsor, un projet évalué à 25 milliards et dont la rentabilité est mise en doute par plusieurs experts, s'il veut réduire les émissions de GES.

«Ce n'est pas une contradiction de notre côté. À notre avis, la promesse du Parti conservateur est une décision économique qui vise à donner un avantage à Terre-Neuve par rapport au Québec. Le Québec peut très bien vendre de l'énergie verte aux États-Unis et donc contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre», a dit M. Bigras.

Dans ce dossier, il appert que les intérêts économiques l'emportent sur la lutte contre le changement climatique pour le Bloc québécois et le gouvernement Charest. En serait-il également ainsi si l'industrie des sables bitumineux se trouvait au Québec plutôt qu'en Alberta?