Lorsqu'on a appris que la chef du Parti vert n'était pas invitée au débat des chefs, c'est sur Twitter que ses partisans ont lancé un mouvement de protestation. C'est également sur Twitter que le premier ministre, Stephen Harper, et le chef du Parti libéral, Michael Ignatieff, se sont lancé le défi d'un face-à-face, mercredi dernier.

«La campagne électorale de 2008 a été la campagne Facebook, celle de 2011 sera Twitter», lance Marc-André Viau, attaché de presse et porte-parole du NPD pour le Québec.

Pourtant, seulement 5% des Canadiens sont abonnés au site de microblogage, qui a célébré récemment son cinquième anniversaire. Or, cette faible participation de l'électorat n'empêche pas les principaux partis politiques de s'y intéresser. «Il n'y a pas que les chiffres, rappelle Dominic Gagnon, président de l'agence Piranha, spécialisée dans le marketing mobile. Sur Twitter, on trouve ceux qui sont à l'avant-garde, des gens qui parlent beaucoup et qui font parler d'eux. C'est pour cette raison qu'il est important d'y être.»

Chez nos voisins du Sud, la dernière élection présidentielle a marqué un tournant dans la façon de mener une campagne. L'équipe de Barack Obama a su utiliser tous les nouveaux outils technologiques à sa portée pour rejoindre les jeunes, notamment. Plusieurs politiciens canadiens ont pris des notes. Aujourd'hui, c'est à leur tour d'utiliser les médias sociaux. Ce sont les premières élections canadiennes résolument 2.0.

De nouveaux instruments se sont donc ajoutés à la boîte à outils des politiciens. Outre les réseaux sociaux Twitter et Facebook, on a vu l'application iPhone du NPD ainsi que des codes QR (des codes-barres 2D) sur les affiches libérales et sur l'autocar du NPD. Les partis utilisent aussi YouTube et Flickr. De son côté, le Bloc québécois a tenté l'expérience de l'assemblée de cuisine virtuelle (enregistrée dans un bar de Québec et diffusée sur son site internet) quelques jours avant le déclenchement des élections. «L'expérience a été tellement concluante que nous voulons la refaire deux ou trois fois», note Geneviève Blanchard, attachée de presse du Bloc.

Bref, la plupart des outils sont là, mais les a-t-on vraiment intégrés ou s'agit-il plutôt d'une tentative des partis d'être dans le coup?

«Nous avons laissé à la discrétion de chacun la décision d'utiliser ou pas les médias sociaux, affirme Carl Vallée, attaché de presse adjoint du premier ministre Harper, qui travaille aux bureaux électoraux du parti pour la durée de la campagne. Même son de cloche du côté du Parti libéral du Canada: «Les médias sociaux occupent une place très importante dans cette campagne, dit Jean-Bernard Villemaire, directeur des communications, mais on ne force pas nos candidats à les utiliser. Ceux qui le font sont volontaires.»

Une utilisation décevante

Que pensent les spécialistes du web de l'utilisation que font les politiciens des médias sociaux? Visiblement, ils ne sont pas impressionnés. «Les partis ont beau utiliser les médias sociaux, ils sont encore dans le traditionnel, estime Dominic Gagnon, président de l'agence Piranha. Prenez le code QR sur les affiches du Parti libéral. Le problème, c'est qu'il ne mène vers rien de social ou de participatif. C'est juste là pour être cool.»

Dominic Gagnon s'étonne en outre qu'on n'utilise pas davantage les textos, pourtant très populaires. Mis à part le NPD, qui invite les électeurs à texter le nom du parti au numéro 101010, on ne trouve aucune autre utilisation de messagerie texte pour l'instant. «Avec la mobilité, on peut faire tellement de choses! note M. Gagnon. On peut utiliser Foursquare pour indiquer où sont les candidats, on peut aussi inviter nos contacts à télécharger un fond d'écran aux couleurs d'un parti... Bref, ce ne sont pas les idées qui manquent, mais on dirait que les initiatives viennent davantage des médias que des partis politiques.»

Michelle Blanc, consultante en stratégie web, est également déçue de ce qu'elle a vu jusqu'ici. «Ce n'est pas ça, l'esprit des médias sociaux, dit-elle. Il faut être vrai, interagir. La dernière campagne de Québec solidaire, qui avait invité les gens à mettre le logo du parti sur leur avatar (la photo ou l'image qui représente l'internaute), est un bon exemple d'utilisation réussie. Aux dernières élections françaises, on avait organisé des assemblées de cuisine virtuelles dans le jeu Second Life. Ça met du piquant dans la campagne et ça fait parler dans les médias. Au Canada, on a deux ans de retard dans ce domaine.»

La campagne est encore jeune, on verra sans doute d'autres initiatives, et les partis risquent de raffiner leurs outils. «Va-t-on permettre des questions du public par l'entremise de FaceTime ou de Twitter durant le débat des chefs? demande Dominic Gagnon. C'est le genre de nouveauté qu'on s'attend à voir quand on parle d'une campagne médias sociaux.»