Racistes, xénophobes, antiimmigrants...

Ces étiquettes, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration Jason Kenney les a souvent entendues lorsqu'il a amorcé un véritable marathon auprès des nouveaux Canadiens, au milieu des années 2000.

Le député albertain n'a pourtant jamais cessé de croire qu'il pouvait changer l'image de son parti. «Même si plusieurs communautés n'ont pas voté pour nous, l'éventail entier de leurs valeurs est conservateur», a-t-il expliqué à un journaliste du site Frum Forum, qui vise le «renouveau du Parti républicain et du mouvement conservateur».

Depuis cinq ans Jason Kenney court donc les festivals, les banquets et autres événements «ethniques» en répétant sans cesse le même message: les conservateurs et les immigrés ont les mêmes valeurs (ce qu'il traduit par le sens du travail, une allergie au crime et au désordre ainsi qu'une dévotion à la famille et aux traditions).

Le mois dernier, un document interne révélait son intention de profiter de la campagne électorale pour saturer les médias ethniques de messages publicitaires, disant par exemple: «Si vous regardez notre équipe, vous vous reconnaîtrez.»

«C'est très habile. Annoncer dans les médias ethniques est très peu coûteux et permet de rejoindre facilement un auditoire précis», commente le politologue Phil Triadafilopoulos, de l'Université de Toronto.

Le Parti conservateur a aussi préparé le terrain en confiant à trois relationnistes la tâche de tisser des liens avec les journalistes des médias ethniques. Il a présenté des excuses officielles à différentes communautés, a maintenu des taux d'immigration importants et a simplifié plusieurs processus pour les immigrés et leurs familles.

En 2008, l'écart entre les deux partis a fondu dans plusieurs circonscriptions de la région de Toronto, où trois conservateurs ont même délogé des libéraux qui semblaient presque invincibles. Est-ce la preuve que leur stratégie fonctionne? Leurs adversaires jurent que non. «Si les dernières élections ont été difficiles pour nous, c'est parce que Stéphane Dion et son message sur l'environnement n'ont pas été bien reçus, argue le député libéral torontois Robert Oliphant. Cela a davantage contribué à leur succès que leur campagne auprès des nouveaux Canadiens.»

«Les conservateurs font des progrès, mais ces progrès ne sont pas spectaculaires», confirme Myer Siemiatycki. politologue à l'Université de Toronto.

Une étude méconnue d'Allison Harell, spécialiste du vote ethnique à l'UQAM, va dans le même sens. D'après son analyse des résultats électoraux, Stephen Harper a séduit de nombreux immigrés d'origine européenne (Italiens, Portugais, Allemands, Polonais, Ukrainiens, etc.). Chez eux, l'appui aux conservateurs est ainsi passé de 30% à 45% entre 2004 et 2008 (tandis que l'appui aux libéraux fondait de 36% à 21%).

Les minorités visibles (Arabes, Asiatiques, Antillais, Africains, gens d'Amérique latine) demeurent par contre très attachées au Parti libéral, auquel elles s'identifient fortement, constate Mme Harell. En Ontario, en 2008, les deux tiers de leurs membres ont ainsi voté pour Stéphane Dion.

«Leur appui au Parti libéral demeure toujours aussi fort, conclut-elle. Vu les changements démographiques en cours (c'est-à-dire la croissance de cette population), cela pourrait avoir un impact sur le sort électoral du Parti.»