La stratégie actuelle du Parti conservateur du Canada est unique en son genre, estime le politologue Phil Triadafilopoulos, professeur à l'Université de Toronto. «C'est très rare pour des conservateurs de vouloir s'associer aux immigrés, dit-il. Habituellement, ils s'en servent plutôt pour mettre les autres électeurs en colère et les mobiliser.»

Résultat: les candidats de Stephen Harper doivent jouer les funambules pour ne pas indisposer leurs électeurs habituels. «Ils combinent une approche ouverte à l'endroit des immigrants avec un discours plus restrictif quant aux réfugiés ou à l'obtention de la citoyenneté canadienne. C'est très délicat», résume M. Triadafilopoulos.

Il y a quelques semaines, le député conservateur de York-Simcoe s'est par exemple opposé à l'idée que les immigrés puissent toucher la pension de vieillesse trois ans seulement après leur arrivée au Canada. «Ce n'est pas juste pour les Canadiens de tous les jours», indiquait son dépliant.

Un citoyen n'a pas tardé à s'en indigner dans les pages du Toronto Star. «Les conservateurs ciblent les nouveaux Canadiens dans certaines circonscriptions, tandis qu'ici, on doit apparemment les diaboliser et les considérer comme moins canadiens», a-t-il déploré.

À droite, ce sont plutôt les gestes d'ouverture qui dérangent. «Certains de nos partisans sont sûrement indisposés, mais ils ne le disent pas. Les gens d'affaires comprennent que pour que leur entreprise grandisse, ils doivent embaucher plus de gens. Pour cela, nous avons besoin d'immigrants», nuance un directeur de campagne conservateur.

Jouer sur les deux tableaux est un peu condescendant et cynique, estime tout de même le professeur Myer Siemiatycki, politologue à l'Université Ryerson. Au tout début de la campagne, rappelle-t-il, Stephen Harper a apostrophé les résidants de Brampton (une banlieue torontoise très multiethnique) en leur disant «You people», ce qui se traduit par «Vous autres».

«Quand les conservateurs s'adressent à l'ensemble du pays, ils affirment que les immigrés doivent s'intégrer et renoncer à leurs valeurs de jadis. Quand ils veulent leurs votes, ils les interpellent par rapport à leur attachement à leur pays d'origine, en se basant sur des stéréotypes», souligne M. Siemiatycki.

«Cela a pour effet de les distancer du reste du Canada, dit-il, de laisser entendre qu'ils ne sont pas des citoyens comme les autres. C'est une pente glissante.»

Son collègue David Soberman, de la Chaire nationale canadienne en marketing stratégique, voit les choses autrement. «Cibler des groupes est normal en politique, dit-il. C'est nouveau pour les conservateurs, mais les libéraux l'ont fait depuis longtemps en traduisant des dépliants dans plusieurs langues ou en créant des programmes pour les immigrés.»