St. John's, Terre-Neuve Pendant un siècle, des générations de mineurs ont extrait du fer à Bell Island. Du fer qui prenait le large avec le gros des profits.

La mine a fermé il y a 45 ans. C'est maintenant une des banlieues qui ont poussé autour de St. John's, dans un décor gaspésien à 15 minutes de la capitale.

À l'heure de pointe, on peut voir la file de voitures qui attendent le traversier dans le port de Portugal Cove. Plus loin, St. Phillips et Paradise s'étalent sans arrêt. On construit des écoles, on en agrandit d'autres.

Grâce au pétrole, Terre-Neuve n'est plus fiscalement une province pauvre. Grâce au pétrole, mais grâce aussi au modèle économique nationaliste de la province. Les profits ne partent plus tous au large.

«Maîtres chez nous»: le slogan a été recyclé avec conviction sur la Roche...

Et si une circonscription incarne ce revirement et ce réveil économique autant qu'identitaire, c'est bien St. John's-Est.

Elle englobe une partie du vieux centre-ville, avec ses maisons en clin de bois multicolores, et se répand vers ces nouveaux dortoirs au nord.

C'est ici que le Nouveau Parti démocratique a remporté sa plus grande majorité au Canada. Jack Harris y a été élu en 2008 avec 75% des votes.

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On aurait tort de penser que la circonscription, la plus riche de la province, est un bastion néo-démocrate. Sauf dans une partielle en 1987 où M. Harris a été élu pour un an, l'endroit a toujours élu un conservateur ou un libéral.

Mais en 2008, Danny Williams, le premier ministre le plus populaire de l'histoire de cette province, a lancé sa virulente campagne ABC (n'importe qui sauf un conservateur). Il s'agissait de punir Stephen Harper de ne pas avoir tenu parole sur la méthode de calcul de la péréquation - une affaire de 1 milliard.

Résultat: six des sept sièges de Terre-Neuve-et-Labrador sont allés à des libéraux. St. John's-Est est allé au NPD.

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Au NPD?

Disons plutôt à Jack Harris. L'homme de 62 ans est un avocat très populaire, qui a défendu les ouvriers dans différents conflits et représenté les victimes des sévices des Frères des écoles chrétiennes du honteusement célèbre (et rasé depuis) orphelinat de Mount Cashel.

Harris a été le chef du NPD provincial pendant une douzaine d'années et s'il n'a jamais menacé Williams, il est très respecté. Alors, tant qu'à voter pour «n'importe qui» sauf un conservateur, aussi bien voter pour un qu'on aime.

«Danny avait un gros bâton dans les mains aux dernières élections», dit le candidat libéral John Allan, qui confesse avoir voté... Harris en 2008.

Les conservateurs, qui détenaient le siège, sont arrivés troisièmes, tombant à 9% (une chute de 37 points). Oui, vraiment, Danny avait un gros bâton.

Mais il n'y a ici aucune base syndicale ou coopérative, comme on en trouve dans des circonscriptions traditionnellement NPD.

«Les Terre-Neuviens sont tous néo-démocrates, au fond, quand vous regardez nos valeurs», me dit Harris, dans son local de campagne.

De fait, il n'y a pas de grande bataille idéologique ici. La ligne de démarcation est encore Stephen Harper.

Sauf que cette fois-ci, il n'y a plus de campagne ABC. La nouvelle première ministre, Kathy Dunderdale, a même partagé la scène avec Stephen Harper au début de la campagne. Harper venait annoncer une garantie de prêt pour le transport sous-marin de l'électricité du Bas-Churchill.

«Je ne dis pas aux gens pour qui voter, la dernière fois j'ai fait du porte-à-porte pour une libérale, cette fois-ci je ne sais pas», m'a dit la première ministre.

«J'ai bien peur qu'elle ait vendu son âme au diable, soupire Allan. Pourquoi aller au lit avec Harper quand il y a trois leaders avec lesquels négocier?»

Où loge-t-il, au fait, Danny? Il se fait discret, depuis son départ en décembre. «J'ai vendu un chien à sa fille, et elle a ma pancarte sur son terrain», dit tout de même le candidat libéral, un homme d'affaires qui n'a aucune expérience politique et qui ne s'est décidé qu'il y a trois semaines.

Le conservateur Jerry Byrne, homme d'affaires important de St. John's, semble avoir peu de chances, malgré le réchauffement des relations Terre-Neuve-Ottawa. Sur son site, c'est avec le ministre Vic Toews qu'il pose, pas Stephen Harper...

Ce n'est peut-être plus n'importe qui sauf le conservateur. Mais c'est encore très, très Jack.

Il me parle avec enthousiasme de l'Université Memorial, de l'école de business, du développement de l'industrie pétrolière.

- Êtes-vous certain d'être néo-démocrate?

«La question n'est pas de savoir s'il faut exploiter les ressources naturelles, mais bien: au bénéfice de qui? Les cartels pétroliers ou les gens d'ici? Terre-Neuve s'est inspirée de la Norvège et j'ai appuyé Danny Williams. C'est au-delà des lignes de parti. Nous avons réussi à développer notre sentiment national et notre besoin de reconnaissance. Tout le monde est d'accord avec ça.»

Quand on récolte les trois quarts des votes, on a le droit de parler au nom de tout le monde.